Au Maroc, des ordres devraient être donnés pour arrêter le refoulement des citoyens africains et leur abandon sur les différentes routes du pays. La tragique histoire du jeune Camerounais Jean Bihina explique pourquoi.

Le décès de Jean Bihina sur la route d’Asilah ne doit pas passer inaperçu. Le jeune camerounais qui vivait à Tanger aurait été percuté, la nuit, par une voiture dont le conducteur a pris la fuite. C’est la version officielle des autorités. Une version difficile à contredire sans présenter des preuves concrètes.
La question que ces autorités ne se posent pas et à laquelle elles ne répondent pas non plus est pour quelle raison Jean Bihina s’est retrouvé durant la nuit sur une autoroute deserte et dangereuse à proximité de la ville d’Asilah?
On refuse déjà de comprendre pourquoi ces autorités organisent des rafles contre les citoyens Africains vivant sans permis de résidence à Tanger. Mais la loi est ainsi faite, même si elle est dure, illogique et souvent inhumaine. Ce qui fait mal, en plus de cette chasse à l’homme, c’est cette opération d’embarquement à bord de fourgonnettes des forces auxiliaires qui transportent ces sans papiers dans des conditions inacceptables vers des destinations loin de Tanger, en général vers la ville de Larache où même plus loin encore.
Personne ne sait dans quelle zone Jean Bihina a été relâché ou s’il a fait des kilomètres à pieds pour revenir à Tanger. Tout ce qu’on sait c’est qu’il est mort sur l’autoroute pas loin d’Asilah. Il est mort percuté par un véhicule dont le conducteur a pris la fuite.
Quelles preuves existe-t-il pour croire à cette version? Existe-t-il un dossier médical et une autopsie officielle? On n’en sait pas grand-chose. Une seule chose est certaine. Notre ami Jean, le jeune Camerounais a été retrouvé mort loin de chez lui. Car même sans avoir un permis de  résidence, ni un visa et peut-être même pas un passeport, Jean était chez lui à Tanger. Il avait sa vie, ses amis, un lit pour dormir, il gagnait sa vie ici et là et il avait surtout un rêve que quelqu’un a tué.
Aujourd’hui, le rêve de partir, que Jean Bihina nourrissait jour et nuit, s’est transformé en un rêve de sa famille de le faire revenir à sa terre natale pour y être inhumé.
Malheureusement, ni la famille de Jean, ni ses amis à Tanger n’ont les moyens de payer les frais exorbitants de son ultime voyage vers le Cameroun.
Peut-être cette opération devrait être prise en charge par les autorités locales ou nationales.
Peut-être que cela représenterait une sorte de dédommagement pour cette mort atroce, la nuit, sur une autoroute.
Car après tout, il faut reconnaître que dans cet accident la vraie responsabilité incombe à nos autorités qui décident d’embarquer de pauvres personnes, déjà souffrantes de mauvaises conditions de vie, et de les abandonner la nuit sur de dangereuses routes et dans des conditions encore plus difficiles.
A Tanger, Jean était un poète et les poètes, vivants ou morts méritent le respect.

Il créait des sacs en laine sur lesquels il racontait son histoire. Il vivait de ça à Tanger

Extrait d’un texte de Stéphanie Gaou de la Librairie les Insolites où Jean aimait passer lire:
“Jean souriait toujours et sa raie du bonheur augurait de belles conversations un peu mystérieuses, constellées d’humour.
Jean venait boire un café avec moi, souvent à la librairie et nous dissertions de la vie, il venait fabriquer ses superbes créations en couleur avec quelques bouts de laine et des sacs de récupération. Jean était fort et doux, un tigre rêveur dans une voix de velours. Nous parlions de livres, de poésie, nous riions…
J’aimais savoir que Jean venait aux insolites comme chez lui, là où il se sentait bien. Là où c’était un havre. Ses amis l’appelait “l’artiste”. Jean avait une famille qui l’aimait au Cameroun. Jean, dans ses rêves de voyage, s’imaginait humain universel..”

Abdeslam REDDAM