“La dépréciation de la pratique architecturale dans le secteur privé annonce la dégradation de notre cadre de vie…”

“…Il est anormal et néfaste que le fossé se creuse  entre la pratique architecturale face aux projets de l’Etat et ceux des particuliers…”

Le nouveau mandat du bureau du CROAT sera sans doute synonyme d’efforts supplémentaires pour renforcer la valeur des architectes comme vecteurs essentiels du développement socio-économique. Mais il sera aussi question de défendre leurs propres intérêts…
Réalisations, projets et problèmes à résoudre. Mokhtar Mimoun rappelle les plus importants sujets qui font débat concernant ce noble métier.

Après votre réélection à la tête du CORAT l’été dernier, vous entamez en ce début d’automne votre programme du second mandat. Tout d’abord rappelez-nous quels ont été les principaux axes du mandat passé ?

Le mandat passé de notre Conseil Regional à été marqué par une activité intense qui a mobilisé un nombre conséquent de conseillers. Vous me donnez l’occasion ici pour les remercier  pour leur contribution à améliorer la production de notre cadre bâti et à la promotion de notre noble profession dans l’équité et la transparence.
Parmi les acquis que notre Conseil a pu concrétiser on notera:
• Le péril que représentait les activités délictueuses  de certains qui a été neutralisé par une action disciplinaire rigoureuse et continue.
• La répartition des petits projets privés est mieux assurée. En 2017, 3 Architectes se répartissaient 2000 projets. aujourd’hui les statistiques sont parlantes: ces projets sont répartis entre une trentaine  d’Architectes de toute la région.
• Le niveau moyen des honoraires pour ce secteur a été relevé, ce qui permet l’amélioration des études et du suivi des travaux.
• Le Conseil a engagé une politique de rapprochement avec les élus locaux en leur apportant assistance et conseil, notamment pour la mise en application de la plateforme ROKHAS.
• Le Conseil a mis en place avec l’APDN une convention pour l’attribution des projets gérés par l’Agence. Jusqu’à ce jour, près de 30 architectes ont pu profiter de cette convention.
• Le Conseil a négocié aussi une convention avec l’APDN pour la réhabilitation de la Plaza de Toros. Une quarantaine d’Architectes de Tanger on pu concourir dans le cadre d’un concours d’architecture qui a été remporté par une équipe tangéroise en toute transparence et équité.
• Le Conseil a acquis les locaux pour y aménager son nouveau siège : c’est un plateau d’environ 200 m² dont l’aménagement a été attribué par concours  à une jeune consœur de la place.
Sur le plan national le Conseil Régional de Tanger a été un élément actif important pour de nombreux dossiers :
• Amendements au Décret de Passation des Marchés Publics (en cours d’approbation gouvernementale au niveau de la Trésorerie Générale du Royaume).
• Code des Devoirs Professionnels (en cours de finalisation)
• Amélioration du fonctionnement de la plateforme ROKHAS.
• Mise à jour du contrat-type unifié relatif aux prestations architecturales dans le secteur privé.

Par ailleurs quelles seront les grands projets sur lesquels vous allez vous pencher durant ce nouveau mandat?

La motivation première de l’équipe qui s’est présentée pour ce mandat 2021-2024 est de mener à leur terme les actions entreprises lors du mandat précédent. La synergie entre les membres du Conseil est excellente et leur mobilisation est très franchement exemplaire. Nous sommes heureux de compter dans cette équipe sur le savoir et la sagesse d’architectes expérimentés et sur le dynamisme et l’enthousiasme de jeunes confrères.
Pour préciser les objectifs pour ce mandat la dernière réunion statutaire a permis la constitution d’équipes de travail sur les différents fronts où nous sommes déjà engagés et les nouveaux fronts que nous voulons ouvrir comme:
• L’organisation de nouveaux concours d’architecture pour la réalisation de projets emblématiques pour la ville et la région en collaboration avec les maîtres d’ouvrage institutionnels de la région.
• L’amélioration et la rationalisation des relations avec nos partenaires institutionnels comme l’Agence Urbaine, les nouveaux élus régionaux et communaux et l’administration en général.
• La mise en place d’une politique de communication et d’information qui s’appuie sur les médias actuels pour expliquer notre action et nos objectifs.
• La mise en place d’un cadre pour le suivi et l’amélioration des procédures de matérialisation qui sont devenues centrales dans notre métier ( plateformes Rokhas et CRI, notre plateforme interne…)
• Le rapprochement à nos confrères du secteurs public en les impliquant dans nos actions, notamment les programmes de formation continue que nous venons d’initier par une formation à la sécurité incendie qui concerne 32 confrères.
• La mise en place de notre  nouvelle plateforme digitale qui permet aux architectes de tout le pays de réaliser à distance toutes les démarches de déclaration de contrat, de règlement des cotisations et des demandes d’attestations diverses et qui sera mise en ligne début octobre.
• Sur le plan national nous continuerons à participer activement à la mise en place des réformes nécessaires des lois et règlements qui permettront d’améliorer notre contribution à la production du cadre bâti.

Cette période coïncide avec l’élection d’une nouvelle équipe communale et surtout d’un nouveau gouvernement. Quelles sont vos attentes concernant les politiques locales et nationales ?

Les élus communaux sont nos partenaires essentiels et indispensables. Nous avons été parmi les premiers à les féliciter pour leur élection et à leur assurer notre collaboration à tous les niveaux où nous pourrons êtres utiles à l’intérêt général. Nous poursuivons les mêmes objectifs qui sont d’assurer à nos concitoyens un cadre de vie digne, des équipements de qualité et un environnement urbain agréable et sain. Nous nous proposons pour travailler ensemble à concrétiser ces objectifs dans la transparence, l’équité et le respect mutuel.

Le journal La Dépêche du Nord a publié récemment un reportage mettant en relief le grave problème des honoraires des architectes impayés par l’administration territoriale. Avez-vous, au CROAT, réalisé des actions permettant de trouver une issue à cette situation ?

Nous avons été attentifs à la publication de cette information dont nous avions déjà eu écho il y a un certain temps. Il est anormal et injuste que les concepteurs et garants de la réalisation de projets aussi importants pour la ville ne soient pas rémunérés pour leur travail. C’est encore plus grave quand on sait qu’on leur a imposé de prendre en charge des prestataires extérieurs comme les bureaux d’études et autres professionnels avec lesquels ils n’ont évidement pas pu honorer leurs engagements.
Ceci dit notre Conseil sollicite régulièrement d’être informé des problèmes que trouvent les architectes lors de l’exécution de leur contrats avec les maîtres d’ouvrage publics. Lors du mandat passé plusieurs dizaines de cas ont fait l’objet de réclamations écrites de la part du Conseil adressées aux maîtres d’ouvrage concernés.

Quelle est votre opinion sur l’évolution du métier d’architecte?

Pour beaucoup d’architectes leur métier est le plus beau du monde et j’en fais partie. Le Maroc est un pays qui reste à construire et son cadre bâti amené à s’améliorer pour atteindre les standards de qualité des pays avancés. Malgré ses lacunes et ses faiblisses notre écosystème juridique et réglementaire permet à l’architecte d’honorer sa mission correctement face à la commande publique. La mission de l’architecte face aux projets de l’administration est réglementée et relativement protégée. Ce n’est pas du tout le cas dans le cadre de la commande privée. Les analyses statistiques qui ressortent de notre Observatoire de la Commande Privée sont extrêmement alarmantes : les conditions de travail de l’architecte dans le secteur privé et donc sa production ne font que se dégrader. Nous avons relevé que pour une même mission l’architecte perçoit quatre à cinq fois moins d’honoraires dans le secteur privé que dans le secteur public. Ce qui veut dire que les prestations de conception, d’étude et de suivi de réalisation se dégradent en conséquence. Or la commande privée est de très loin la plus importante en nombre de m2 réalisés. C’est la face, le fonctionnement et la sécurité  de nos villes, de nos quartiers et de nos maisons qui est en jeu. La dépréciation de la pratique architecturale dans le secteur privé annonce la dégradation de notre cadre de vie. Il est anormal et néfaste que le fossé se creuse ainsi entre la pratique architecturale face aux projets de l’Etat et ceux des particuliers. Notre pays ne peut pas se permettre de laisser l’encadrement de la production de la plus grande part de son cadre bâti se dégrader ainsi. Il est temps que l’administration et le législateur, en coordination avec les professionnels, mettent un terme à cet appauvrissement.

Propos recueillis par Abdeslam REDDAM