Né 1040 à Beja, sur le territoire de l’actuel Portugal, et mort en 1095 à Aghmat au Maroc (1040-1095), est le fils et successeur de Abbad II al-Mu`tadid. Beau-père de Zaida de Séville, princesse musulmane qui, après son veuvage et l’attaque des Almoravides, s’enfuit en Castille, se convertit au christianisme sous le nom d’Isabelle ou Élisabeth et devient la maîtresse ou l’épouse d’Alphonse VI de Castille.
Il hérita de son père le talent poétique et le caractère impitoyable, et lui succéda sur le trône de Séville, en 1068. De grandes parties de l’al-Andalus tombèrent sous sa domination : à l’ouest, il engloba le pays compris entre le bas Guadalquivir et le bas Guadiana, les régions autour de Niebla, Huelva et Saltes en 1052, Mertola et Silves (dans le sud du Portugal actuel) ; vers le sud-est et le sud dans les zones de Morón, Arcos, Ronda, Algésiras en 1058, et Tarifa ; vers le nord et le nord-est, sur le pays cordouan et sa capitale Cordoue (prise en 1070, perdue en 1075, reprise en 1078) puis sur la partie de l’émirat de Tolède située au sud du Guadiana; enfin même, vers l’est, jusqu’à Murcie et toutes ses dépendances en 1079.
Il dut payer tribut à Alphonse VI de Castille. Celui-ci devint menaçant après la reconquête chrétienne de Tolède en 1085. al-Mu’tamid fit appel au sultan almoravide Youssef Ibn Tachfin, qui vainquit Alphonse VI, le 23 octobre 1086 à Sagrajas (az-Zallàqa) puis se retourna contre son protégé en s’emparant, entre autres, du royaume de Séville. Son attitude irrésolue entre 1089 et 1090, entraîna la conquête de son royaume par les Almoravides, qui le destituèrent en 1091 puis l’exilèrent au Maroc, où il mourut en 1095 à Aghmat.
Muhammad Ibn Abbad Al Mutamid est surtout connu comme poète. Dans ses poésies écrites en exil, il rappelle sa grandeur passée, et se donne comme exemple de l’instabilité de la fortune.
C’est l’un des plus grands poètes classiques de la poésie andalouse du XIe siècle, qui marque l’apogée de ce genre littéraire. On verra à ce sujet l’étude d’Henri PERES, qui dégage bien l’intérêt documentaire de cette poésie, dont il s’efforce de faire ressortir à la fois les aspects stéréotypés qui relèvent à ses yeux d’une inspiration orientale puisant ses modèles dans la littérature de l’époque abbasside, et les traits plus originaux (conception de l’amour en particulier) où il veut voir une influence « occidentale » tenant aux racines indigènes de la civilisation andalouse ou « hispano-musulmane ». J’ai, à partir d’un ensemble de sources de nature différente, critiqué sur certains points cette vision des choses dans mes Structures sociales « orientales » et « occidentales » dans l’Espagne musulmane (Paris, 1977 ; voir surtout pp. 125 sqq.).
Cette poésie classique s’exprime dans un type de composition à la métrique compliquée, portant le nom de qasida, dont tous les vers sont terminés par la même rime. Ce schéma assez rigide se conserve pleinement dans la poésie classique andalouse, qui reste formellement très fidèle à ses modèles orientaux qu’elle égale ou dépasse en qualité formelle. Toutefois, elle laisse paraître une certaine originalité dans « des thèmes spécifiques à al-Andalus, sans l’artifice et l’obscurité des poètes néoclassiques orientaux », et avec une plus grande spontanéité dans leur développement » (CHEJNE, Historia de España musulmana, p. 207). Parmi les thèmes principaux de cette poésie classique arabe, l’amour et l’érotisme, la louange et la satire, l’élégie où le poète regrette un être ou des lieux chers à son coeur. On en retrouve l’écho dans de nombreux poèmes où l’on notera aussi l’utilisation de jeux de mots recherchés (comme celui qui porte sur les divers sens de thaghr).
Quelques-uns des faits les plus marquants du règne d’al-Mu’tamid, magnifiés par la poésie contemporaine et inlassablement repris dans les anthologies poético-historiques postérieures (Ibn Bassam, Ibn Khaqan, Ibn Sa’id, al-Maqqari), sont évoqués dans les trois extraits proposés. Al-Mu’tamid aurait été très jeune envoyé par son père gouverner Silves, conquise en 1063 sur la petite dynastie locale des Banu Muzayn. Il avait emmené avec lui un poète de la cour avec lequel il s’était lié d’une profonde amitié, et qui était précisément originaire de la région de Silves, Ibn’Ammar, qu’il envoya quelque temps gouverner à son tour la même ville lorsqu’il eut lui-même accédé à la souveraineté à Séville. Ibn’Ammar fut jusqu’en 1078 le principal vizir et conseiller d’al-Mu’tamid, et c’est lui qui, en 1077, dirige l’armée sévillane qui va s’emparer de Murcie. Ce moment voit l’apogée de la puissance du souverain abbadite, qui a hérité de son père d’un Etat déjà agrandi de toutes les petites taifas de l’Algarve et de l’Andalousie occidentale, annexées entre 1050 et 1069. Cordoue elle-même a été prise aux Banu Djahwar en 1070, et cette politique d’expansion, en attendant de pouvoir réduire la résistance de l’émirat ziride de Grenade avec lequel la guerre est quasi-constante, se poursuit en direction de l’Andalus oriental. Mais Ibn ‘Ammar tente ensuite de se rendre indépendant à Murcie, d’où une rupture avec le roi de Séville qui en arrive, après de multiples rebondissements compliqués des relations entre les deux anciens amis-tous illustrés par une grande abondance de poèmes rédigés par les deux personnalités-à tuer lui-même ce dernier qui a fini par tomber entre ses mains (1086). Pendant cette période, la destinée politique de la zone orientale est très confuse et mal connue.
Les poèmes liés à l’entourage intime d’al-Mu’tamid sont nombreux. On a quelque peine à se faire une idée de ce que pouvait être la « famille » de ce souverain, qui semble avoir eu une descendance abondante de diverses femmes et concubines. La personnalité la plus célèbre est sa favorite, puis épouse, I’timad, appelée aussi al-Rumaikiyya, héroïne d’un grand nombre d’anecdotes rapportées à l’envi par les anthologues. Le propre laqab du souverain (al-Mu’tamid, qui vient de la même racine qu’I’timad), évoquerait cette dernière. Les fils connus d’al-Mu’tamid sont presque tous issus de son union avec l’timad. Parmi eux, Abu Nasr al-Fath, auquel on donna le laqab d’al-Ma’mun, qui fut tué en 1091 en défendant Cordoue contre les Almoravides, et dont la femme, dite « la Mora Zaida », se réfugia auprès du roi de Castille Alphonse VI dont elle devint la favorite (cf. LEVI PROVENCAL, « La Mora Zaida… », in : Hespéris, XVIII, 1934, pp. 1 et 200, reprod. dans Islam d’Occident, 1948, pp. 137-151), et Abu Khalid Yazid al-Radi, tué aussi par les Almoravides à Ronda, auquel est adressé le grand poème de son père. A Aghmat, al-Mu’tamid continua à avoir une production poétique abondante, où s’exprime son amertume devant la situation assez misérable qui lui est faite ainsi qu’à I’timad et aux enfants qu’il avait amenés avec lui.