Les premiers migrants juifs
La présence juive au Maroc est attestée dès le IIe siècle av. J.-C., notamment à Volubilis à l’époque romaine, et y reste présente jusqu’au VIIe siècle apr. J.-C., renforcée par l’arrivée de migrants juifs d’Espagne ayant fui les persécutions wisigothes du viie siècle. Avec l’arrivée de l’islam, la population juive passe sous la domination musulmane et se voit imposer le statut de dhimmis. La population juive dite tochavim du Maroc connaît des variations démographiques et politiques jusqu’à être renforcée à nouveau par l’arrivée de migrants juifs de la péninsule Ibérique, forcés de quitter les royaumes d’Espagne et du Portugal durant la Reconquista ; ce sont les megorachim.
1391 et 1492 : les grandes vagues d’immigration des Juifs d’Espagne
Entre 1391 et 1492, les communautés juives de la péninsule ibérique subissent des persécutions en Espagne, après la Reconquista. Elles commencent dès 1391, notamment en Catalogne, Aragon et à Majorque entraînant l’exil de Juifs vers l’Afrique du Nord. Avec la prise de Séville en 1391, ils s’établissent à Meknès, Debdou et Fès.
En 1438, les Juifs de Fès sont confinés dans un quartier réservé, le premier mellah.
C’est en 1492, après le décret de l’Alhambra, que se déroule la plus importante migration de Juifs séfarades vers le royaume du Maroc. Les Juifs séfarades et leurs traditions vont exercer une importante influence au Maroc. Les vagues d’immigration au Maroc touchent Tanger, Tétouan, Fès et Meknes au nord du pays puis Rabat, Salé, Mogador sur la côte atlantique. Après l’expulsion des Juifs du Portugal en 1496, des marranes portugais se joignent à ce mouvement d’émigration.
Si le souverain marocain Mohammed ach-Chaykh accueille bien les réfugiés juifs (Megorachim, de l’hébreu מגורשים « renvoyés »), leur situation est très difficile du fait du brigandage qu’ils subissent mais aussi du mauvais accueil de leurs coreligionnaires déjà établis au Maroc, appelés les Toshavim (de l’hébreu : תושבים, « résidents »). Sur fond de rivalité commerciale et de technicité supérieure des Megorachim (ils développent particulièrement le processus de fabrication du sucre de canne), les Tochavim questionnent la foi des Megorachim. Finalement, les Megorachim imposent progressivement leurs institutions et traditions religieuses aux Juifs autochtones là où ils s’implantent. Dans les communautés du nord du Maroc, à Tétouan, et à Tanger, les Megorachim assimilent complètement les Tochavim. C’est aussi là que se développe la branche occidentale du judéo-espagnol, la haketia, fondée sur l’espagnol, l’hébreu et l’arabe et différente du ladino, parlé dans l’empire ottoman.
Une tournée dans la plupart des quartiers de Tanger montre cette empreinte historique juive. Un nombre important d’anciens bâtiments et immeubles y ont été la propriété de Marocains de confession juive «surtout que nombre de riches juifs ont réussi, dans le passé, dans l’achat et la vente de biens immobiliers», précise-t-on. Tanger manque d’un mellah traditionnel, contrairement aux anciennes villes marocaines telles que Fès, Marrakech, Essaouira, Tétouan ou Meknès. Cependant, elle englobe un certain nombre d’anciennes constructions et lieux de culte dont quelques-uns remontent à des siècles. Il y a même une rivière qui est connue officiellement par l’Oued Lihoud. La rivière juive doit cette appellation à la traversée du détroit en 1492 par les juifs, pourchassés à l’époque par l’Espagne. Ils ont fait ainsi leur passage par l’Oued Lihoud qui porte, depuis, ce nom.
Pour les juifs d’origine tangéroise qui résident à l’étranger, il est impensable de venir à Tanger sans rendre visite au plus vieux cimetière juif de la ville. Situé à la rue du Portugal, ce cimetière qui a été entièrement réaménagé occupe un beau site, jouissant d’une belle vue sur la mer.
Le second cimetière juif de la ville, sis à proximité de la route de Rabat, s’étend sur une superficie d’environ 10.000 m². Il a lui aussi bénéficié de travaux de réaménagement. Les anciens Tangérois se rappellent des rites funéraires pratiqués à l’époque et suite au décès d’un juif. Ils soulignent la grande mobilisation et solidarité qui existaient entre les membres de la communauté juive tangéroise.
Outre les synagogues et les cimetières, Tanger compte plusieurs monuments juifs dont des anciennes résidences et des écoles, qui accueillent actuellement des élèves de confession musulmane. D’ailleurs, la récente démolition de l’ancien hôpital juif Benchimol, construit en 1889, a provoqué la colère et l’indignation de toute la communauté juive mais aussi de tout le reste des Tangérois. Destiné à la communauté juive de l’époque, cet hôpital accueillait également les autres habitants de la ville de confessions aussi bien musulmane que chrétienne. Certes, les anciens juifs tangérois avaient de grandes choses à partager avec leurs concitoyens musulmans, à savoir leurs styles vestimentaires et gastronomiques.
Les anciens juifs de Tanger se distinguaient également par leurs anciennes traditions et coutumes. Toutes leurs fêtes aussi bien religieuses que familiales ont été célébrées suivant les rites religieux juifs. D’anciens fours publics de l’ancienne médina ont été réputés pour la cuisson des repas traditionnels du jour du Sabbat notamment la Skhina, la Dafina et l’Orissa. Ils ne désemplissaient pas à cette occasion de plateaux de ces délices gastronomiques tangérois, qui comportaient des inscriptions ou des signes désignant des familles juives. Les noms de ces familles juives sont toujours retenus par les anciens Tangérois. Ce qui affirme cette coexistence qui a toujours régné entre les trois religions monothéistes à Tanger.