Le développement durable repose sur la capacité à gérer les équilibres: équilibre des ressources naturelles (eau, énergie), équilibre des populations (bien-être social, développement régional), équilibre de l’atmosphère (attaquée par les émissions de C02, la pollution, etc.). Le principal apport du développement durable, c’est qu’il permet de se poser la question de l’avenir de notre société en des termes nouveaux : l’être humain a-t-il la capacité de se doter d’une vision à long terme de sa destinée et non de se contenter d’une vision à court terme de son destin ? Et chacun de ces termes est important ; le développement durable ne fait pas que changer l’horizon temporel dans lequel s’inscrivent nos actions (opposition du long terme au court terme), il remplace la notion de « destin » (qui représente un avenir dessiné, subi, imposé par on ne sait quoi ou on ne sait qui…) par la notion de « destinée » (conçue au sens de ce que l’on construit, de la direction vers laquelle on s’efforce d’aller). Il s’inscrit donc clairement dans une optique volontariste et politique de l’avenir de nos sociétés.
Mais la volonté politique ne suffit pas. Encore faut-il savoir se doter des outils adéquats pour gérer les équilibres et transformer durablement le mode de développement du Maroc. Ces outils, à mes yeux, sont de deux types.
D’abord, des outils technologiques
Il s’agit, bien sûr, des « technologies propres » qui doivent permettre de concilier le progrès technique et la préservation des ressources de la planète. Il s’agit, aussi, de trouver des processus, des moyens, des méthodes pour assurer les mêmes fonctions (industrielles, notamment), sans susciter les mêmes effets négatifs, donc sans générer les mêmes dégâts.
Ces technologies ont un rôle considérable à jouer dans le cadre du dialogue Nord-Sud. Nous ne pouvons, en effet, exiger du Maroc qu’ils renoncent au progrès – économique, social et politique – dont notre pays bénéficie aujourd’hui. Il ne saurait, par exemple, être question de nous demander de cesser de produire l’automobile. Les technologies propres doivent précisément nous permettre de se développer sans pour autant reproduire les erreurs que les pays développés ont commises. Tout comme on doit donner aux pays industrialisés, la capacité de réparer et de corriger, progressivement, les erreurs qui causent tant de dégâts sur l’environnement.
Ensuite, des outils d’évaluation
Notre comptabilité ne tient pas compte de la destruction des ressources rares ou des surcoûts sociaux induits par une vision à court terme du développement économique. Or, tous les coûts qu’il nous semblait superflu de chercher à calculer deviennent aujourd’hui fondamentaux pour l’équilibre et l’avenir du monde. Les comportements, individuels et collectifs, ne pourront pas changer tant que les indicateurs économiques (« micro » ou « macro ») n’intégreront pas les facteurs sociaux et environnementaux.
Cette façon de voir les choses commence à progresser au niveau des dirigeants d’entreprise. Certaines sociétés qui publient les comptes aux normes IFRS, ont désormais, à côté de leur traditionnel bilan et CPC annuel, un bilan « social » et un bilan « environnemental ». Cette première avancée, si utile soit-elle, est toutefois insuffisante. On ne progressera dans la mise en place d’outils d’évaluation adaptés à la logique du développement durable qu’à condition d’intégrer les aspects économiques, sociaux et environnementaux au sein d’une seule et même comptabilité (que l’on pourrait d’ailleurs qualifier, en ce qui concerne les entreprises, de « bilan sociétal »). C’est la seule manière, en effet, de parvenir à prendre en compte le développement social et la préservation de l’environnement dans la stratégie économique des entreprises et du pays. A défaut, ces deux dimensions risquent de demeurer purement et simplement « périphériques ». Ne risque-t-on pas, en s’efforçant ainsi de construire des outils comptables globaux et cohérents, de renforcer la tendance qui veut que l’on cherche à donner un prix à tout ? Une telle démarche est pourtant essentielle si l’on veut que le développement durable cesse d’être un joli concept pour s’incarner dans les actes et dans les faits. Il ne s’agit plus de rêver, mais de concevoir et d’agir.
On ne progressera dans la logique du développement durable qu’en intégrant les aspects économiques, sociaux et environnementaux au sein d’une seule comptabilité.
Le concept de développement durable constitue la déclinaison, au niveau macro-économique, de l’idée d’entreprise citoyenne que nous devrons défendre dorénavant. Ce concept repose, en effet, sur une même philosophie de la liberté et du bonheur de l’être humain. Et, dans les deux cas, il s’agit de se montrer acteurs et responsables. L’entreprise citoyenne, en effet, c’est celle qui assume pleinement ses responsabilités, à la fois économiques, sociales et environnementales.
Un défi pour les entreprises
Comme le développement durable, la citoyenneté d’entreprise inscrit son action dans un horizon temporel élargi. Reste, bien sûr, que les échelles de temps ne sont pas les mêmes dans les deux cas. Pour l’entreprise, raisonner à moyen ou long terme signifie généralement se projeter à cinq ou dix ans. Pour le développement planétaire, il faut penser à l’échelle d’un siècle, soit près de vingt fois plus !
Malgré toutes ces proximités entre le développement durable et l’entreprise citoyenne (ce n’est sans doute pas un hasard si ces deux notions sont apparues sensiblement en même temps, cette dernière décennie), les ponts se font encore trop rares entre ces deux univers. Sans doute le Maroc a-t-il gardé une sensibilité plus sociale qu’environnementale, alors que la tendance est plutôt inverse chez les tenants du développement durable.
Pourtant, les penseurs, acteurs et militants d’une autre logique de développement auraient tout intérêt à se rapprocher de ceux qui incarnent les mêmes valeurs dans les entreprises. Réciproquement, ceux qui prétendent incarner l’idée d’entreprise citoyenne – au premier rang desquels les dirigeants – ne sauraient se désintéresser du développement durable, au risque, sinon, de tomber dans des contradictions insurmontables. Le développement durable a le mérite de porter notre action « citoyenne » à l’échelle nationale.
Mohamed LAHYANI
-Expert-comptable & Commissaire aux comptes diplômé d’Etat à Paris.
-Membre de l’Ordre des Experts-comptables au Maroc et en France.
-Fondateur du cabinet Audit & Analyse Tanger www.audit-analyse.com
-Président de la commission Etudes Fiscales & Juridiques du Conseil Régional de l’Ordre des Experts-comptables de Tanger Tétouan Al-Hoceima.
-Auteur de nombreux ouvrages en): fiscalité, audit, finance, comptabilité, évaluation dessociétés, consolidation, contrôle de gestion…