Il est bien inégal, ce recueil de textes sur les lieux par lesquels est passé Truman Capote tout au long des années quarante. Les considérations sur New York et celles sur Brooklyn sont assez inintéressantes. Hollywood est truculent, où l’écrivain met le doigt sur tout ce que la ville a de faux et de mauvais goût – une anticipation de la vision des frères Coen et de celle de Tarantino… « Vers l’Europe » permet de très belles considérations sur Venise et sur Londres, et de délicieuses anecdotes dans un train qui n’est pas l’Orient Express. Truman Capote fonctionne d’ailleurs par décryptage d’anecdotes, décalées et savoureuses, par lesquelles, tachiste, impressionniste appuyant sur le trait, il dresse l’esprit des lieux plus qu’il n’en donne une réelle description. Ainsi, pour Haïti, le bateau d’Hyppolite et une soirée vaudou nous racontent poétiquement l’île ; Tanger en 1950 est traduit en trois personnages, forcément caricaturaux mais ô combien humains, et une soirée de ramadan sur la plage de Sidi Kacem, où l’écrivain a su convoquer toute la magie des lieux. Car même si ce qu’il rapporte ne nous concerne pas toujours, il est bien évident que nous avons à faire à un écrivain. À un grand écrivain, pour lequel tout ce qu’il écrit, au fond, n’est qu’un prétexte à un travail jouissif sur la langue. « On perd pas mal de temps, assis au Petit Socco, place encombrée de cafés, au pied de la casbah. Au premier abord, on dirait une version en miniature de la Galleria, à Naples ; mais dès qu’on aura fait plus ample connaissance, on lui accordera un caractère si grotesquement personnel que l’on ne peut plus en toute justice la comparer à aucune place du monde. Il n’y a pas un moment du jour ou de la nuit où le Petit Socco ne soit pas surpeuplé. Broadway, Piccadilly, tous les lieux de ce genre ont leurs heures creuses ; le Petit Socco “chauffe” tout au long des deux tours du cadran. Vingt marches plus haut, vous êtes avalés par les brumes de la casbah ; et les apparitions qui en surgissent, au beau milieu des discordances typiques du Socco, constituent un spectacle éclatant de vie. C’est là, pour les prostituées, un terrain de manœuvres ; pour les trafiquants de drogues, une gare de triages. Et c’est encore un nid d’espions. C’est enfin, tout simplement, l’endroit où l’homme de la rue vient prendre l’apéritif du soir. »
Philippe Guiguet Bologne