L’idée est de protéger la langue locale dans la région Jbala, qui s’étend de Tanger jusqu’à Chefchaouen, en passant évidemment par Tétouan.
Protéger la Darija parlée dans cette zone durant toute la vie, mais de moins en moins actuellement, c’est protéger une histoire et un patrimoine linguistique. Car, il faut le reconnaître, presque personne à Tanger n’appelle la petite fille « Ayla » et le petit garçon « Ayel » et sûrement presque personne n’appelle une cuillère « cuchara » ou dit « tenedor » quand il parle d’une fourchette. Peu de famille utilisent encore ces mots.
Rares sont les familles qui utilisent encore ces noms en parlant la darija, langue locale de la région Tanger-Tétouan.
Si les Tétouanais protègent un peu plus le langage de leurs parents et ancêtres, c’est surtout parce qu’ils ont pu, jusqu’à aujourd’hui, conserver leurs anciennes coutumes et traditions, notamment linguistiques. Malheureusement, ce n’est pas le cas pour tous les Tangérois.
Bien entendu cette transformation du langage parlé à Tanger, est fort logique. Durant les 20 dernières années, la ville (et ses habitants) ont subi les conséquences du développement économique accéléré et l’arrivée en masses importantes de nouvelles familles qui s’y sont installées. Il s’agit en général de jeunes cadres et employés possédant leurs propres mode de vie, leurs propres traditions et aussi leurs propres langages. En parallèle, il faut aussi noter la migration des Tangérois vers différents pays du monde, et aussi vers d’autres régions et villes du Maroc (statiquement en moindre importance).
Ces phénomènes migratoires, qui ont leur côté positif bien sûr, ont contribué au changement de certaines coutumes, et par conséquent, à la disparition de certains mots bien « Tanjaoui » qui ont été remplacés par d’autres.
Rappelons que la darija de Tanger contenait des centaines des mots en espagnol, en anglais, en français (même s’ils sont rares), en plus du dialecte arabe local.
Nos mamans appelaient la cafetière « Cafatera » ou « Cafetera », les jeunes disaient « Jean’s » en parlant du pantalon et « Chancla » ou « Sandalia » au lieu des tongs.
D’autres termes ont aussi disparu et ne sont que très rarement utilisés à Tanger. C’est le cas de « Coummira » (baguette française), « Crema » (incluant toutes les crèmes) ou encore « Camiseta », « Lavadora », »Nebera », etc.
Ces mots, comme on peut facilement le remarquer sont tous d’origine espagnole et ils étaient utilisés dans un langage constitué également d’autres mots anglais introduits dans la darija locale depuis Gibraltar dont les produits de consommation (vêtements, parfums, chocolats et autres produits alimentaires étaient vendus à Tanger bien avant les produits de contrebande de Sebta).
Dans la darija de Tanger et sa région, le langage jebli était également fort présent et était constitué de mots de la langue arabe classique, d’où l’extraordinaire richesse de ce dialecte jebli qui commence à disparaître au fil du temps.
Cette transformation est certes tout à fait logique, mais cela n’empêche pas de sonner l’alarme concernant ce patrimoine linguistique qui finira par disparaître s’il n’est pas protégé académiquement.
Certains diront que ce n’est pas grave si on cesse d’appeler une fourchette « Tenedor » et que de toute façon il s’agit d’un mot espagnol et donc étranger.
Oui, tous ces mots ont pour origine une langue étrangère, la langue espagnole notamment, mais ils constituent un héritage local. Une histoire et un patrimoine à conserver. Exactement comme on aime protéger un bâtiment construit à Tanger par un architecte espagnol, français ou allemand.
Tous ces éléments constituent l’histoire de Tanger. Et laisser disparaître ces éléments, un après l’autre finira par effacer toute la richesse patrimoniale de cette ville. Tout son passé…
Abdeslam REDDAM