NAJIB ARFAOUI présente son 6ème ROMAN « L’Intégré » le jeudi 6 Juin 2024 à La Légation Américaine de Tanger.
La modératrice sera Mme Madiha Hajoui-Kettani, psychologue clinicienne et psychothérapeute d’orientation psychanalytique. A cette occasion, La Dépêche publie une interview de Najib Arfaoui en relation avec son dernier roman « L’INTEGRE »
Il est incontestable que le contexte politique français actuel présente quelques similitudes avec celui décrit dans votre roman, ainsi, étant vous-mêmes binational, vous reconnaissez-vous si ce n’est que très légèrement, dans Naïm ?
La France ne fait pas exception quant au repli identitaire qui touche tous les peuples. Le nationalisme sous toutes ses formes, le radicalisme religieux, le rétrécissement de la pensée, en sont les formes apparentes. La montée des extrêmes droites xénophobes et frileuses en est la représentation la plus éloquente.
L’histoire de mon roman se situe effectivement à un de ces moments de choix de société, en France, qui se proclame pays des droits de l’Homme. Je ne pouvais pas ne pas me sentir impliqué, sans pour autant réagir comme Naïm. L’idée générale du roman était née de ce que pourraient être les effets de ce retour de l’Histoire sur un homme fragile.
Comment expliquez-vous le besoin extrême d’intégration que ressent le protagoniste, au point d’en devenir paranoïaque ?
Justement, je voulais montrer que des millions d’immigrés intégrés ou pas n’avaient pas sombré dans la paranoïa pour autant. Ma conviction est que le traumatisme n’est pas le produit mécanique des causes apparentes. Naïm faisait exception. Il n’est pas représentatif de la diaspora. Son cas est singulier.
Son besoin d’intégration peut être imputé à sa fascination pour une société dite libre et égalitaire. Qui ne voudrait pas en faire partie ? La réalité est plus compliquée, il s’en rendra compte.
Comment décrirez-vous la relation de Naïm à sa culture et son pays d’origine ? Car, finalement, bien qu’il souhaite à tout prix se sentir français et surtout être reconnu en tant que tel, ses origines, ainsi que son vécu, constituent une partie de ce qui le définit.
Un jour, un ouvrier marocain est venu me voir pour demander un crédit destiné à acquérir une maison à Oujda pour sa famille qu’il voulait ainsi arrimer à son pays d’origine. Cinq ans plus tard, il était revenu me dire qu’il avait mis en vente la maison d’Oujda pour acheter une autre plus spacieuse à Bruxelles. Pourquoi voulait-il se débarrasser de la maison au Maroc ? Il m’avait expliqué que depuis cinq ans quatre petits enfants étaient nés à Bruxelles où ils étaient scolarisés. Il ajouta que sa fille unique se proposait d’épouser bientôt un Belge. Il en avait conclu que, pour lui, le Maroc ne serait plus dorénavant qu’un pays de vacances, parfois seulement, si tout le monde tombe d’accord. Il en doutait. Il m’avait semblé déchiré, malheureux.
L’exil est la perte d’une partie de son identité d’origine. Et toute perte est douloureuse. Le pays d’origine évolue et se développe sans l’exilé qui garde, par ailleurs dans sa mémoire, l’image du pays tel qu’il l’avait quitté. Il est en décalage, en permanence. Il devient étranger dans son propre pays. Arrive le jour où il ne reconnaît plus rien. Il est dépossédé. Cette complexité définit l’exilé. Naïm était en quête de patrie, une patrie idéalisée puisqu’elle prétend être celle des droits de l’Homme et du citoyen.
Les liens restent cependant puissants avec le pays d’origine. Le souvenir devient nostalgie. Tout ce que l’on perd d’un côté, on cherche à le retrouver de l’autre. Et ce que l’on cherche, c’est la paix intérieure, celle d’appartenir à une instance qui protège.
Nous ne pouvons nous empêcher de compatir à l’égard de ce personnage, on comprend aisément sa douleur, son angoisse de ne pas complétement appartenir à une société qui lui semble pourtant lui correspondre, on s’imagine également le mal-être profond ressenti dans sa jeunesse, se sentant étranger parmi ceux supposés être les siens. Cette complexité émotionnelle est-elle la cause de sa fragilité psychologique ?
C’est tout le sens de la démarche dans ce livre, qui consiste à expliquer que ces fragilités l’entrainant jusqu’à la paranoïa, n’étaient qu’en partie liées à sa situation d’immigré, puisque tous les immigrés, devant la même situation, n’ont pas développé la même pathologie. Je voulais dire qu’il fallait se méfier des raisons apparentes. Naïm, depuis son enfance, subissait perte sur perte, développant une peur de l’avenir, l’amenant à se réfugier dans l’idéologie, dans l’illusion. Toute sa vie explique sa paranoïa. L’événement politique est l’élément déclencheur.
La haine que le protagoniste se porte à lui-même, n’est-elle pas la conséquence d’un racisme intériorisé ?
Être indigné par l’injustice, par l’arbitraire, par la reproduction de rituels décadents ne peut être assimilé à du racisme, même intériorisé. Refuser les inégalités et les arriérations mentales non plus. L’être humain n’est pas arrivé encore au stade de l’individuation, les nouvelles solidarités sont en cours d’élaboration. Il existe toujours ce besoin d’appartenir à un clan, à un village, à une ville, à une région, à un pays. L’histoire individuelle détermine le degré de liberté auquel on est parvenu. L’internationalisme semblait être une solution, il est resté un vœu. Le racisme nait de la déshumanisation de l’autre différent. Refuser d’appartenir à un système de pensée n’est pas du racisme. Tout est dans le respect de toutes les convictions.
Est-il correct de supposer que Naïm se soit senti rejeté par le pays qu’il avait choisi au péril de sa propre identité? S’est-il senti trahi? d’autant plus qu’après le décès de sa mère, il avait le sentiment d’avoir perdu tout attache qui le reliait à son pays natal.
Si Naïm a pu penser cela, c’est la preuve qu’il n’avait pas assimilé ce que signifiait l’intégration, l’assimilation. Les arabes sont aujourd’hui rejetés par une partie fascisante de la population. Avant eux c’était les africains, les Italiens etc. La question est : jusqu’à quel point a-t-on besoin d’être aimé, admiré, respecté etc., pour se sentir citoyen à part entière ? Naïm était exigeant comme l’était son idéologie. A ce titre, il pouvait se sentir trahi. En réalité, il était trahi par sa vision idéale de la société.
Cette vision a en effet supplanté le vide créé par la disparition de sa mère qui était le point d’ancrage de son identité perdue.
S’était-il trompé en idéalisant la France et ses valeurs ?
Certainement. Ces valeurs sont universelles, n’appartiennent à aucun pays en propre. Elles sont à réaliser, elles restent partout un objectif, et c’est le combat de tous les êtres humains. Assimiler la France à ces valeurs est une erreur. Dans le cas de Naïm c’est une faute.
À la suite de la mort de sa mère, Naïm a dû faire le deuil de celle-ci, mais également celui de qui le rattachait à son ancienne vie au Maroc. Quelle difficulté supplémentaire a-t-il ressentie en tant qu’immigré ?
C’est encore une autre illusion de Naïm que de croire que l’on peut se débarrasser définitivement des liens qui nous constituent. L’apaisement n’est que provisoire. La difficulté ressentie doit être probablement liée à l’incapacité de se libérer de son passé.
Quel rôle l’absence de son père a-t-elle joué dans son développement ?
Peut-être faut-il voir là la raison de son sentiment d’insécurité et du manque d’estime de soi. Le rôle du père est éminent dans la formation affective et sociale.
Agnès, son amour, femme blonde aux yeux bleus, était-elle pour lui un moyen de s’intégrer davantage ?
Il est possible que oui. Inconsciemment. Agnès lui présente sa famille. Il pouvait ainsi vivre de l’intérieur la vie des Français, les comprendre peut-être, se faire connaître d’eux. Incontestablement cela facilite les rapports.
Peut-on présumer qu’il se soit réconcilié avec ses origines vers la fin du roman.
Je pense qu’il aura des rapports sans passion avec son pays d’origine. Je pense qu’il va le regarder avec bienveillance comme il commence à regarder la France. Il faudra qu’il accepte tous les morceaux qui le constituent et les réunir dans un seul et unique destin.
Propos recueillis par MANAL BENBOUDINAR