«… A la clinique, on nous entendait rire alors que nous étions en train de combattre la mort…»
Prof et comédienne Tangéroise vivant à Paris, Mary-Tahra Homman raconte son expérience avec le cancer dans une pièce théâtrale où le rire le remporte sur les larmes et la douleur. Une femme magnifique qui a trouvé dans l’art théâtral son autre vie.
Vous êtes professeure en espagnol et comédienne et vous avez décidé de raconter votre combat contre le cancer du sein à travers le théâtre. Qu’est-ce qui vous a persuadé d’aller sur ce chemin et partager votre expérience?
Depuis toute petite, j’ai une passion pour les Arts: musique, danse, théâtre, cinéma, peinture… J’ai eu la chance d’avoir été élève au Conservatoire de Musique de Tanger où j’ai appris la danse classique et le piano et découvrir le cinéma avec les films hollywoodiens (surtout les comédies musicales) des années 40-50-60, le théâtre avec les émissions «Au théâtre ce soir» et «Estudio 1» sur la seule chaine espagnole de l’époque, que nous regardions à travers le petit écran de notre première télé en noir et blanc. J’ai assisté à des pièces jouées au Centre Culturel Français et aux dernières représentations au Grand Théâtre Cervantès avant sa fermeture, sans oublier les professeurs de Français du lycée Regnault qui m’ont transmis leur passion du théâtre à travers Molière, Racine, Corneille, Ionesco, Marivaux, Beckett (qui a vécu à Tanger), Rostand, Guitry, Labiche, Feydeau et j’en passe. J’ai vu le pouvoir et le plaisir que ces auteurs pouvaient engendrer. C’était une évidence: je voulais être comédienne et partager et transmettre à mon tour. J’ai écrit ma première pièce de théâtre à l’âge de 15 ans, jouée au Centre Culturel Français et, une fois le bac scientifique obtenu, je suis montée à Paris pour des études universitaires et des cours de théâtre le soir. J’ai joué et mis en scène des pièces d’auteurs connus et je suis aussi devenue prof de théâtre en parallèle avec l’enseignement de l’espagnol dans un lycée. Il était donc évident pour moi de mettre en scène le vécu de mon cancer de façon humoristique et aussi pédagogique. Le destin vous offre de belles surprises, j’ai d’abord rencontré une jeune dessinatrice qui a tout de suite compris ce que je voulais et nous avons travaillé ensemble l’affiche et, par la même occasion, deux jeunes régisseurs qui ont cru en moi et ont œuvré sur la création des lumières. Un beau travail d’équipe. Grâce à eux, j’ai joué pour la première fois ma pièce «La Constellation du Cancer» à Paris et j’ai eu la chance de jouer au Festival Off d’Avignon la même année. Depuis, on travaille ensemble.
Qu’avez-vous choisi de raconter dans votre pièce que vous avez vous-même écrite : la souffrance des personnes atteintes d’un cancer ou plutôt l’espoir et la foi aidant à le combattre ?
J’ai commencé par échanger avec les personnes qui étaient en chimiothérapie et en radiothérapie, c’est là que l’on reste plus longtemps. Peu à peu, je retrouvais les mêmes phrases, les mêmes remarques, les mêmes souffrances et le même espoir.
Je trouvais ces personnes courageuses sans me rendre compte que je faisais aussi partie de ce cercle. La souffrance, l’espoir, la foi sont présentes mais surtout une force commune: l’entraide et l’écoute. On s’écoutait raconter nos anecdotes avec un «moi aussi!», on s’échangeait des recettes et, à la clinique, on nous entendait rire alors que nous étions en train de combattre la mort. Ces moments-là sont uniques et vous donne une certaine ferveur et énergie même si, parfois, on apprenait que l’une d’entre nous avait pris son envol… C’est ainsi que j’ai commencé à écrire des petits bouts de texte, des petits bouts de vie, nous avions un tronc commun en plus de ma propre expérience, et je me disais qu’il fallait transmettre, à travers mes mots, ce que beaucoup de femmes n’osent pas dire tout haut. Mais ce n’est pas l’unique sujet de ma pièce, je critique aussi la société face au cancer, le regard des autres, ce côté encore tabou, l’après cancer qui n’est pas facile et tout cela avec humour. J’y ai dédié 3 ans d’écriture car les petits bouts de texte devaient avoir un fil conducteur, en plus du travail de la mise en scène, du décor, des accessoires, de la danse et des choix musicaux qui viennent adoucir ce cheminement souvent nommé «le parcours d’une combattante» … J’ai tout fait seule, chaque sujet est traité de façon minutieuse, même le choix du titre, «La Constellation du Cancer».
Cette pièce est une partie de ma vie mais aussi celle de millions de femmes.
Votre One-Woman-Show «La Constellation du Cancer» qui dure 1h30, se base sur beaucoup d’humour même s’il raconte finalement énormément de souffrance. Est-il facile de prendre les choses avec tant d’humour?
Quelle belle thérapie que le rire ! Dans mon seule en scène, je ne parle pas de souffrance, on le devine. Ce n’est pas facile de prendre les choses avec humour face à une maladie aussi grave, mais c’était mon point fort. J’ai voulu faire un spectacle où les rires remplacent les larmes, où s’entrecroisent texte, danse et musique, où se mélangent la vie et la mort, où les émotions bousculent votre âme, sans pathos, avec légèreté et humilité.
Pour vous donner quelques exemples, durant les traitements, se voir dans le miroir et se dire «tiens, c’est la doublure de E.T!» me faisait rire, rentrer dans plusieurs magasins de pompes funèbres et leur dire «pas encore!» et voir l’expression du visage du commercial, ça vaut le détour, pouvoir changer de tête en portant différents foulards ou perruques en testant du blond platine au noir corbeau et se prendre pour Marylin Monroe ou Cléopâtre, des choses que l’on n’oserait faire en bonne santé, on les fait malade. On se découvre une passion et ce sont ces petites choses que l’on aime qui nous font du bien, on sourit et on oublie ce que l’on endure…
Ce n’est pas parce que l’on est adulte que l’on doit avoir peur du ridicule et que l’on ne peut pas faire sortir l’enfant qui est encore et toujours en nous, bien au contraire !
Se plaindre de notre souffrance? On n’a pas le temps, on pense à demain, à après-demain, on pense à toutes ces choses que l’on a mis de côté en se disant «un autre jour», et puis on n’attend plus cet «un autre jour», on le fait.
La vie est plus belle lorsque l’on rit même si notre corps, meurtri de douleurs, pleure…
C’est peut-être ça votre message : «ce n’est pas la fin du monde, il faut se battre et rester très positif» ?
La vie est une multitude de petites batailles et chacun «vit» son cancer différemment.
Il est vrai que l’on doit endurer le choc de l’annonce, le monde s’écroule, on est perdu, on croit que l’on ne va pas y arriver et… on y arrive ! Nous puisons en nous pour avancer, c’est ça notre bataille, écouter son corps.
Pas facile d’être 100% positive, on ne peut, même en bonne santé, on a le droit de pleurer et d’avoir envie de tout arrêter. Et puis cette maladie nous apprend à prendre enfin soin de soi alors que l’on passe notre temps à s’occuper des autres. II faut savoir dire stop et prendre du temps pour nous, éviter des personnes qui vous pompent votre énergie et votre temps qui est devenu précieux. Ça c’est le côté positif ! Ce qui est important, c’est nous et mettre nos peurs et nos joies sur des mots, il est important de libérer la parole. Parler, écouter, échanger, avancer, faire des choses que l’on aime, ne plus «avoir honte» ou «cacher» sa maladie et rire, surtout rire, quel que soit le temps qu’il nous reste…
Et puis la recherche avance, de nouveaux traitements arrivent, des associations se montent pour accompagner les malades dans différentes activités, si ça, c’est pas du positif!!
Si vous avez la possibilité de venir faire une tournée au Maroc, accepteriez-vous de le faire?
Accepter? Mais je prends le premier avion avec ma fidèle équipe et on est là le jour même! Quel honneur et bonheur serait de jouer dans le pays qui m’a vu naître et grandir !
Cela fait plus de 2 ans que je me bats pour jouer au Maroc, moi, la petite tangéroise qui rêvais de jouer dans le Grand Théâtre Cervantès et qui avais pleuré lors de sa fermeture ou quand je le visitais en ruines!
Pendant mes vacances d’été au Maroc en 2019, j’avais envoyé et déposé les dossiers com de mon spectacle dans différentes villes, en rencontrant parfois des directeurs de théâtre, de centres culturels ou d’associations. Cela a failli se faire si la Covid n’était pas arrivée…
Depuis, je relance et j’attends.
Et si, pour la première représentation, c’est la ville de Tanger qui m’accueille, ce serait la cerise sur le gâteau et, pour les connaisseurs tangérois, le gâteau à la meringue de La Española!
Propos recueillis par Abdeslam REDDAM
Photos: NORA.H