À Tanger, nous persistons à parler des mythes disparus tandis que les mythes vivants arpentent ses rues, respirant l’air salé de la baie et se laissant envelopper par le murmure des vagues. Nous nous accrochons à la nostalgie d’un passé insaisissable, sans réaliser que la ville continue de forger des légendes, des êtres de chair et d’os qui entretiennent la flamme culturelle de ce coin du monde.
Ce week-end, le hasard nous a offert deux reflets de Tanger. D’une part, une publication consacrée à l’univers du Minzah, cet hôtel qui fut le témoin de mille histoires que nul n’ose raconter entièrement. Ses murs ont été le confessionnal des poètes et des espions, son bar un refuge pour les exilés et les prophètes de l’errance. On évoquera, sans doute, ce que nous savons déjà, mais le véritable Minzah réside dans l’écho de ses couloirs, dans les ombres projetées par les lampes de cuivre, dans les secrets qui se glissent entre deux verres sur ses fauteuils de cuir.
D’autre part, et sans doute plus significatif encore, la ville a été le théâtre de la présentation de deux de ses grands mythes vivants : Javier Valenzuela et Alberto Gómez Font. Journaliste et écrivain pour le premier, philologue, linguiste et barman d’élite pour le second, tous deux sont les gardiens de la mémoire tangéroise, les architectes d’un récit qui refuse de s’éteindre. Et là, à leurs côtés, Farid Bentria Ramos, un autre tisseur d’histoires qui relie les fils de Tanger au reste du monde.
Si vous aimez cette ville, si vous la ressentez vraiment dans les battements de votre cœur, vous les croiserez dans ces lieux où le temps semble suspendu. Au Café Hafa, où le bleu de la mer se confond avec le ciel et où le thé à la menthe se déguste avec la lenteur de ceux qui savent que le destin n’est pas pressé. Au Hanfta, où les murs usés ont été les témoins d’innombrables discussions. Ou peut-être au Number One, où le grand Karim a su transformer une table en scène et un dîner en rituel.
Et si la chance vous sourit, peut-être croiserez-vous Mohamed Mrabet, qui, la main sur le cœur, vous dira que le Tanger du siècle dernier était plus culturel et cosmopolite que celui d’aujourd’hui. Mais cela ne doit pas être une excuse pour l’immobilisme. Les mythes vivants d’aujourd’hui ont fait de cette ville leur emblème et, de l’extérieur vers l’intérieur, l’ont transformée en un bastion culturel. Valenzuela, Gómez Font, Bentria Ramos et tant d’autres sont résolus à continuer à nourrir l’essence de Tanger et à projeter son image dans le monde.
Un jour, l’histoire les placera dans l’orbite de Genet et Bowles, parmi ces noms qui ont fait de cette ville une légende frontalière, un mythe éternel. En attendant, ils sont là, laissant leurs empreintes dans les rues, dans les bars, dans les livres et dans la mémoire de ceux qui ont le privilège de les croiser. La Tanger culturelle n’est pas morte ; elle est vivante, vibrante, et n’attend que ceux qui savent en percevoir le battement.