Elle est certes une époque qui reste gravée dans la mémoire collective des Tangérois, quelle que soit leur origine, religion ou nationalité. Entre les années 40, 50 et jusqu’à la moitié des années 60, les habitants de Tanger vivaient la plus belle époque de l’histoire de la ville. C’était l’époque de la cité internationale et de la première décennie de l’après indépendance.
Mais jusqu’à quel point les gens étaient-ils heureux et est-ce qu’ils l’étaient tous?
Il existe plusieurs réponses et points de vue et ils mettent chacun en relief une partie de la vérité concernant cette époque. Car prétendre que la vie à Tanger durant cette ère était un paradis n’est pas vrai, ni un enfer d’ailleurs.
Il suffit de lire “Le Pain nu” de Mohamed Choukri pour avoir une idée sur la réalité de la vie d’une grande majorité des populations locales.
Dans ses romans comme dans ses interviews, l’écrivain, né en 1935 à Ayt Chiker (province de Nador) et qui avait fuit tout petit avec sa famille la famine, raconte la vie en rose qui était réservée à seulement quelques familles Tangéroise notables constituées de différentes nationalités et religions. Parmi cette communauté, les familles Tangéroises musulmanes étaient très peu nombreuses, ne constituant sûrement pas 10% du total des familles habitant la ville. Choukri a raconté surtout la grande misère dans laquelle vivaient la majorité des habitants de Tanger. Les musulmans, ainsi qu’une bonne partie des chrétiens et des juifs.
En effet, durant et après la seconde guerre mondiale, de très nombreuses familles ne trouvaient guère de quoi manger. Les produits alimentaires de première nécessité étaient distribués en rations. Le pain, le sucre, l’huile, etc. Peu de maisons avaient de l’électricité et de l’eau potable et le chômage touchait pratiquement toutes les familles. En dehors de quelques familles notables, tout le monde a goûté à la misère de cette guerre.
Le statut de Tanger comme ville internationale avait certes aidé à dépasser cette énorme crise économique. Mais en travail, la balance était toujours positive du côté des familles étrangères qui se sont installées à Tanger. Pour les familles Tangéroises, la vie n’était pas totalement aisée. Certes il y avait eu plus d’offres d’emplois, mais pas pour tout le monde, sachant qu’en parallèle l’émigration rurale battait tous les records.
Tout le monde rêvait de cet Eldorado qui était, au fond, un enfer pour une grande majorité des nouvelles populations.
Ce n’est que vers le début des années 50 qu’une partie des jeunes marocains de Tanger, ayant pu terminer les études et obtenir des diplômes et un emploi fixe, a formé une nouvelle génération de familles stables et a pu s’intégrer socialement et économiquement dans cette société Tangéroise “moderne”.
Une génération d’hommes et de femmes qui a constitué le noyau des familles Tangéroises actuelles en quittant le foyer parental dans l’ancienne Médina pour s’installer dans les immeubles de la nouvelle ville, au boulevard Pasteur et dans les quartiers constituant le centre-ville. Des enseignants, des employés de banques, des commerçants, des comptables, etc.
Alors qu’ils étaient peu nombreux à le faire durant les années 40 et 50, les Tangérois (d’origine marocaine et musulmane) fréquentaient eux aussi les grands cafés qui étaient jadis pratiquement “réservés” aux communautés étrangères. Plusieurs livres de l’histoire de la ville rappellent en photos cette nouvelle situation sociale, notamment le grand café Madame Porte, La Española et le Casino de Tanger, entre autres grands salons de l’époque.
Durant cette période dite “faste”, certaines familles partageaient même des chambres d’une même maison et ce n’est que quelques années plus tard qu’elles ont pu loger dans une petite maison ou un petit appartement des ruelles du nouveau centre-ville.
L’important durant cette période était d’avoir un revenu mensuel, un toit et une tranquillité. L’important aussi était que tout le monde vivait en paix, dans le partage et le respect.
A Tanger durant cette époque, belle pour les uns et encore atroce pour d’autres nombreuses familles, l’important était cette paix sociale entre toutes les communautés.
Des années durant, la société Tangéroise était dans une stabilité sociale qui existait peu ailleurs. En général, il y avait du travail, de bons services de santé, des écoles pour tout les enfants et les gens menaient une vie joviale grâce notamment aux nombreuses fêtes, carnavals, festivals et autres manifestations culturelles représentant encore plusieurs pays et nations. Même après l’indépendance.
Et vous, comment jugez-vous cette période?

A. REDDAM