Par Mustafa Akalay Nasser, Directeur à L’Esmab UPF Fès.
La période analysée par notre recherche sur «Le Tétouan espagnol (1860-1956): Synthèse de son histoire urbaine et architecturale. Documents écrits, témoignages inédits», couvre plus de 95 ans de présence espagnole à Tétouan où des idées urbaines d’avant-garde ont surgi et des réalisations architecturales audacieuses ont été exécutées. Les ingénieurs militaires et architectes qui se sont rendus au nord du Maroc, en tant qu’urbanistes dessinent de nouveaux quartiers, dans le cas de Tétouan, ils optent pour une ville nouvelle ouverte avec des rues moins larges et des îlots qui suivent un tracé géométrique et dans lequel la ligne droite prédomine et les immeubles de faible hauteur.
L’architecture espagnole réalisée dans cette ville nouvelle ou Ensanche se caractérise par son extrême diversité: civile, militaire, traditionnelle et moderne. À Tétouan, nous repérons à la fois les formes arabisantes, ainsi que la combinaison de styles européens: éclectisme, historicisme, modernisme, art déco, rationalisme, néoherrérien, et moderne. On ne peut pas dire qu’il existe une architecture unique ou officielle, comme c’est le cas du style d’état dit le Néo-mauresque, inventé et mis en œuvre par la France en sa zone d’influence marocaine et dont l’origine est la Grenade nasride.
Tout au long de la période du protectorat, qui s’étend sur près d’un siècle, les expériences architecturales et constructives ont été si changeantes et disparates en termes de prétentions et de réalisations que l’on ne peut pas vraiment parler d’architecture coloniale, mais de l’exportation de diverses réalisations architecturales produites sur le sol Tétouanais.
Parfois, ces propositions ou actions semblaient tenir compte du pays de destination, mais d’autres fois non, c’est une architecture qui a été exportée ou, pour mieux dire, formulée loin de son territoire d’origine et qui représente “le seul vestige réel et tangible” de la culture espagnole à Tétouan et cela nous surprend beaucoup à ce jour que les études sur ce legs architectural sont si rares et presque absentes dans les historiographies espagnole et marocaine.
L’état dudit patrimoine architectural montre un certain degré de détérioration physique dû à des carences d’entretien et à des difficultés de réhabilitation dues à une loi sur le bail urbain ancienne et caduque: Propriétaires, locataires et autorités municipales s’accusent mutuellement de la dégradation du parc immobilier, les premiers se plaignent de la loi sur les loyers, qui remonte aux années du protectorat et qui maintient gelés des loyers dérisoires qui ne leur permettent pas de faire face à des travaux de réhabilitation. Les contrats de location signés depuis 1980 sont libres et le nouveau régime des baux de 2007 permet d’augmenter les loyers si la maison est dans des conditions habitables, mais les anciens loyers n’ont pas été touchés.
Les immeubles souffrent de différents problèmes qui conduisent à une perte de leur résistance structurelle, qui se traduit par des dommages, de l’érosion et des fissures. Certaines des causes sont: l’humidité, la pluie et l’usure du temps. Parmi les pathologies détectées dans différents bâtiments, on peut trouver: décollement du revêtement, affaissement du sol, béton endommagé, fissures aux piliers. La dégradation de ce patrimoine architectural et l’identification que la communauté s’en fait, sont des questions peu abordées dans ladite société.
La conservation et la réutilisation de cet héritage architectural nécessitent des ressources de conception et technologiques particulières, qui doivent être développées de manière respectueuse mais aussi créative. Sans aucun doute, il est un devoir urgent pour les forces vives des deux pays de revaloriser ce patrimoine commun, de le mettre à jour et à la disposition des habitants et des amoureux de l’architecture. Une tâche aussi énorme ne saurait être l’œuvre et le fruit d’efforts personnels, quelle que soit la bonne volonté mise dans la tâche, mais plutôt incombe les deux états: l’Espagne et le Maroc à coopérer en faveur de la conservation et sauvegarde de ce patrimoine partagé, lié à une civilisation commune et s’applique généralement à des édifices ou constructions de la fin du XIXe siècle et du début du XXe siècle, témoins d’un métissage culturel qui marque un lien entre le sud et le nord de la Méditerranée.
Dessins Simo El Morabet