“L’Alcazar est plus qu’une simple petite salle de cinéma, elle est porteuse de valeurs d’ouverture, d’acceptation de l’autre, elle ressemble à Tanger dans son ouverture aux autres cultures”
Souad Rahmouni El Tayeb, directrice de Monte Carlo Doualiya (MCD), à pris en charge, à travers l’association TanjAflam la gestion des activités du cinéma Alcazar, salle historique de l’ancienne Médina de Tanger. Un nouveau challenge que cette belle femme Tangéroise relève avec le même succès et le même enthousiasme que ses nombreuses autres responsables.
Un cas de succes story qui mérite d’être suivi.
Vous êtes Tangéroise vivant en France et vous êtes la directrice de Radio Monte Carlo Doualiya. Un parcours qui a mérité la médaille de Chevalier dans l’Ordre National du mérite français, mais il s’agit surtout d’une success story qui a nécessité des années de travail et de sacrifices.
Quels ont été les mots-clés de ce succès ?
A la sortie de l’école de journalisme, j’ai commencé à travailler dans la presse. J’ai pour ainsi dire touché à toutes les formes de journalisme. Tout d’abord dans la presse écrite dans les années 90, Paris était une plateforme de la presse en langue arabe, et comme je maitrise la langue arabe j’ai écrit dans la presse panarabe, j’ai couvert la politique française, j’ai produit les pages ‘femmes’ dans le magazine Al mostakbal. J’ai été éditorialiste. J’ai aussi travaillé en radio pour Voice of America, Sawa, j’ai été correspondante télé de plusieurs médias, j’ai fait une grande émission culturelle… mais il y a une étape importante qui est mon expérience au sein de l’agence APTN dont j’ai dirigé le service Moyen Orient.
C’était très enrichissant professionnellement et humainement. L’approche journalistique est différente en agence. Il y a chez les agenciers comme on les appelle une abnégation qui force le respect et l’admiration. L’agence est la source de l’information et elle est au service de ses abonnés, le journaliste ne signe pas son papier, mais derrière chaque dépêche il y a un travail de tous les instants et sur tous les terrains. J’ai passé une quinzaine d’années au sein de l’agence avant d’être nommée directrice de MCD, Monte Carlo Doualiya, poste que j’occupe avec grand bonheur depuis 2012. C’est une expérience de vie que de diriger une radio internationale et de travailler au sein d’un très grand groupe de médias français qu’est France Médias Monde (F24, RFI,MCD) qui fait partie du service publique et qui diffuse dans le monde entier en radio télé et numérique.
Je crois que c’est une gageure que d’être éloignés géographiquement des auditeurs et de trouver la bonne approche pour que chacun se retrouve dans nos contenus et productions et c’est ce que nous faisons tous les jours.
Il n’y a pas de recettes secrète au succès. Il y a l’effort et le travail, mais chaque parcours est particulier, j’ai eu la chance qu’on reconnaisse mes compétences mais je n’ai jamais agi en pensant à une carrière particulière… Je pense que c’est très féminin comme approche.
s’il faut retenir un mot clef c’est de faire son travail passionnément et j’ai la chance de faire un métier que j’aime et qui est une passion avant d’être un travail..
On dit de vous que vous avez littéralement tout bouleversé à Radio Monte Carlo, notamment en investissant dans le développement numérique et le rajeunissement des grilles.
Vos études de sociologie et du journalisme, en plus de votre riche expérience sur le terrain, vous ont-elles aidé à savoir quelle “radio” veut écouter le public?
J’ai pris mes fonctions à la radio en 2012 à un moment où les pays arabes subissaient des changements majeurs avec ce qu’on a appelé le printemps arabe. Des débats de fonds étaient en cours dans le monde arabe. Des choix importants étaient sur la table, des pays sombraient dans la violence. Des rêves de liberté et démocratie se sont transformés pour plusieurs d’entre eux en cauchemar. Les médias avaient un rôle important à jouer pour accompagner et expliquer ce qui se jouait dans cette région du monde, et personnellement je pensais qu’il fallait écouter ces voix qui nous venaient de loin, en nous posant pour y réfléchir, en prenant de la distance, en affichant une honnêteté sincère dans le traitement des sujets épineux. J’ai donc avec la rédaction lancé un changement important dans notre façon de traiter l’information et les sujets en nous adressant aux jeunes et aux femmes, en donnant la parole aux acteurs du changement dans un monde arabe qui se cherchait. Nous avons invité des bloggeuses à nous raconter le monde avec leurs yeux, les rappeurs qui étaient en 2013 complétement absents des ondes, les émissions sociétales mais aussi une place importante à la culture aux créateurs et aux penseurs. Nous avons aussi fait une refonte de notre site internet et renforcé notre offre digitale, nous avons créé des applications, une nouvelle identité visuelle et sonore … On a en fait rajeuni l’image de la radio qui d’ailleurs fête en ce mois de mai ses cinquante ans. Aujourd’hui nous sommes présents dans 14 pays, avec 28 FM et 10.4 millions d’auditeurs partout dans le monde. Je suis très heureuse d’ailleurs que la notoriété et le taux d’audience de la radio soient en augmentation significative au Maroc
Compte tenu de vos nombreuses responsabilités, notamment en France où vous vivez, qu’est-ce qui vous le plus motivé pour accepter de prendre en charge la gestion des activités du cinéma Alcazar après sa restauration ?
Être directrice de Monte Carlo Doualiya est une très grande responsabilité et un travail permanent, on ne peut pas se déconnecter quand on a une rédaction à gérer et des décisions à prendre notamment quand il s’agit des couvertures d’événements importants ou de la gestion au quotidien, mais j’ai aussi une passion qui est le cinéma et que je partage avec des amis de façon bénévole pour des actions qui ont du sens pour la société. Je porte aussi le chapeau de présidente du festival Aflam à Marseille qui existe depuis 2013. Il a pour but de faire connaitre le cinéma arabe au Sud de la France, et je préside une association que j’ai créé à Tanger avec un groupe de bénévoles tangéroises issues du monde de l’éducation, qui s’appelle TanjAflam dont le but est de créer une culture cinématographique auprès des jeunes comme une porte d’entrée à la culture. Le projet de la gestion de la salle Alcazar est en harmonie avec le but de l’association et c’est l’équipe sur place qui gère au quotidien. Ma motivation vient de ma profonde conviction en la puissance de la culture à élever l’être humain et les sociétés… Des jeunes qui s’intéressent au cinéma, à la littérature, à la peinture et à toutes les formes de l’expression culturelle sont des acteurs qui s’intègrent dans leur société…
Quels seront les projets proposés par l’association “TanjAflam” dans cette salle et leurs objectifs ?
L’Alcazar est plus qu’une simple petite salle de cinéma, elle est porteuse de valeurs d’ouverture, d’acceptation de l’autre, elle ressemble à Tanger dans son ouverture aux autres cultures. Nous voulons qu’elle redevienne la salle de cinéma mythique qu’elle était avec une offre cinématographique internationale mais aussi en étant un lieu où on apprend le cinéma et le langage de l’image et ça nous y tenons particulièrement et nous voulons ouvrir de manière systématique la salle aux écoles de la ville et de la campagne, établir des partenariats avec des institutions qui travaillent sur la même thématique, inviter des professionnelles du cinéma pour échanger avec les jeunes. Le cycle de José Luis Alcaline, le grand directeur de la photographie à qui nous avons consacré un cycle, a accompagné ses films et a fait un master class qui a marqué les esprits des étudiants de cinéma qui étaient venus de Tétouan pour le rencontrer. La première activité du cinéma était un cycle « cinéma et école » avec les écoles publiques de Tanger mais aussi de la campagne qui a démontré en très peu de temps l’énorme attente des jeunes et même des très jeunes de ce genre d’initiatives. Les débats qui suivent les films sont des vrais moments d’échange avec les jeunes qui s’expriment avec facilité et bonheur. Notre projet est que cette salle qui a éduqué plusieurs générations au grand cinéma reprenne sa place dans la ville comme un lieu de culture et d’échange. La programmation de films pour le grand publique n’a pas encore démarré mais ça viendra rapidement, les séances/ateliers pour les enfants vont continuer et je pense que c’est la bonne approche pour que le publique reprenne le chemin des salles de cinéma. Si on ne crée pas une culture cinématographique on continuera d’avoir des salles vides. Je salue la belle initiative du ministre de la culture de la réhabilitation et la construction de 150 salles de cinémas dans le royaume. C’est formidable. Notre défi majeur c’est que ces salles se remplissent et que le cinéma marocain prospère et se positionne au niveau mondial.
Propos recueillis par Abdeslam REDDAM