Photographe et artiste exceptionnelle, la Tangéroise Iman Chaîr travaille depuis quelque temps sur un nouveau concept: la photographie thérapeutique. Dans cet entretien, Iman Chair explique la notion et les objectifs de cette discipline.
Vous êtes la première photographe au Maroc qui a introduit la photographie thérapeutique, une “méthode” bien connue dans les pays anglo-saxons mais peu encore dans notre pays. En quoi consiste exactement cette “technique” et à quoi sert-elle?
La photographie thérapeutique est un outil d’exploration et d’introspection pour une meilleure connaissance de soi. Cette discipline n’enseigne pas l’art de faire des photos mais utilise la photo comme support pour régler des choses intimes, pour renforcer les liens avec les autres, pour analyser et comprendre certaines situations de la vie, pour connaître son environnement, pour régler des conflits.
Dans nos sociétés actuelles où tout est de plus en plus visuel et ” instagrammable”, avec la photographie thérapeutique nous sommes aux antipodes de la culture du selfie et du paraître. Elle sonde en profondeur nos souvenirs, nos émotions, notre image, notre vécu, nos relations pour renouer avec notre être authentique et tout ceci par le biais des photos et grâce à des techniques multiples que j’ai apprises lors de ma formation.
La photo va faire jaillir les mots et les mots vont panser les maux.
A quel type de personnes est destinée cette nouvelle approche photographique? Doit-il être malade pour en bénéficier comme un style de remède ou au contraire cela n’a rien à voir avec une pathologie ?
La photographie thérapeutique s’adresse à tout le monde, à toute personne désireuse d’explorer son identité et en quête de bien-être, de sérénité et d’épanouissement. Et comme cette technique est de surcroît ludique, elle est également destinée aux enfants.
Il ne faut pas confondre la photographie thérapeutique avec la photothérapie. La photothérapie est pratiquée par les psychologues, psychiatres et psychanalystes qui dans ce cas se servent parfois de photographies lors de leurs séances avec leurs patients pour leur guérison.
Avec la photographie thérapeutique, on n’est pas dans le médical ni dans la maladie, on est plutôt dans la recherche de l’estime de soi, de l’acceptation de soi et de l’épanouissement. Donc, les initiatives de photographie thérapeutique peuvent avoir lieu indépendamment d’un professionnel de la santé mentale puisqu’il ne s’agit pas de psychothérapie. Selon les personnes qui participent et le cadre posé, les objectifs poursuivis dans cette activité vont varier.
On s’amuse tout en se livrant sur des choses qui nous tiennent à coeur.
Quelles thématiques sont traitées par cette thérapie des photos et quelles sont les photos qui sont valables dans ce “traitement”?
Les thématiques sont diverses et nombreuses et abordées soit en séance individuelle, par exemple pour l’enfant, elle va l’aider à surmonter des angoisses, des peurs, des inquiétudes, pour certaines femmes on peut travailler sur l’acceptation du corps et ainsi bannir certains complexes. Et de manière générale, il y a les problèmes d’ordre personnel et affectif. La photographie thérapeutique peut aider à traverser un deuil, une rupture sentimentale. Il existe aussi des séances de groupe, des ateliers de groupe qui se font autour de thématiques définies à l’avance en collaboration avec des associations. On peut y aborder par exemple les violences envers les femmes, l’handicap, les addictions, etc.
Et il y a ceux qui sont proposés aux entreprises pour permettre d’améliorer le bien-être des salariés, de favoriser la dynamique du groupe, de faciliter la communication interne pour régler des conflits internes au sein de l’entreprise.
Ces séances utilisent comme outil des autoportraits, des cartes postales, des photos que je prends, que les participants prennent, des photos de famille, etc. Tous les types de photo sont valables, le choix se fait au fur et à mesure des séances, selon les thèmes et les objectifs.
Quels sont vos projets pour divulguer ce nouveau savoir-faire? Comptez-vous organiser des formations spécifiques et qui pourra en bénéficier ?
Dans un premier temps, il faut faire connaître ce concept en le médiatisant.
Cela évidemment passe par la presse écrite, par des interviews, par les médias en général.
Depuis ma formation qui est très récente, j’écris beaucoup sur le sujet en partageant des articles en ligne et à travers les réseaux sociaux car il est primordial que le public sache de quoi il s’agit exactement avant qu’il ne participe à un atelier.
Ce que je vais proposer ce sont des séances individuelles pour tous les âges et des séances de groupe (à noter que les séances de groupe concernent les entreprises, les associations, les écoles, les universités, etc ).
Sur un autre plan, vous vous décrivez comme étant une neuroatypique. Quelle définition donnez-vous à ce terme et comment vous l’êtes devenue?
Neuroatypique est un terme qui est très à la mode ! Il résume comment fonctionne mon cerveau, de manière atypique parce que je pense en images, en sons et en odeurs. Etre neuroatypique c’est aspirer son environnement, c’est s’imprégner des odeurs, des mots, c’est penser avec ses sens jusqu’à l’usure.
Telle est ma définition. Ce n’est pas une maladie, c’est simplement que je ressens le monde autrement et intensément au niveau sensoriel. Cela peut être épuisant mais en art (et surtout pour la photographie que je pratique ), c’est un atout ; je vois le monde en couleurs ! Je l’avoue, on est presque dans la poésie !
On ne devient pas neuroatypique, on naît neuroatypique.
Votre rapport avec la photographie s’est aussi nourri par un lien avec l’autisme. Quelle est la relation chez-vous entre l’art et l’handicap?
En effet, l’une des mes premières expo-photos intitulée “AUTISME EN COULEURS” avait eu un franc succès. Présentée au Maroc et en France, elle faisait partie d’un projet global de construction d’une nouvelle vision de l’autisme, non plus comme un handicap ou une maladie, mais comme une différence. J’ avais pris en photo des enfants autistes dans leur quotidien ; une manière pour moi de démontrer qu’une personne autiste peut être belle, heureuse, évoluer dans la vie ordinaire, réussir…
J’ ai compris à ce moment là que la photographie me permettait de communiquer, de transmettre des messages forts. Grâce à l’ art, j’ai pu sensibiliser sur cette thématique de l’ autisme.
Quelle est votre relation avec Tanger, votre ville natale, spécialement au niveau professionnel? Programmez-vous une exposition pour bientôt?
Tanger représente mes racines. C’est la ville de mon enfance et de mon adolescence. C’est là où mon imaginaire s’est forgé et spécialement au Cinéma Roxy. Je m’y rendais régulièrement, chaque samedi. J’étais fascinée et happée par les films sur grand écran et surtout les blockbusters américains, d’où aujourd’ hui cette passion pour l’image et la photographie qui est devenue mon métier.
Mon attache pour Tanger est si grande que j’y ai souvent exposé mon travail photographique aux Insolites, à l’Institut Cervantes, à la Galerie Mohamed Drissi.
Je souhaiterais y programmer prochainement une rencontre qui abordera cette thématique de la photographie thérapeutique. Alors, à bientôt chers tangérois !
Propos recueillis par Abdeslam REDDAM