Depuis ces 10 dernières années, Bank Al-Maghrib (BAM) a engagé une politique d’assouplissement monétaire utilisant une panoplie d’instruments dans l’objectif de stimuler l’activité économique et éviter un assèchement du crédit bancaire « Credit Crunch ».

On peut citer la baisse de son Taux Directeur, les opérations d’Open Market d’injection de liquidité, la baisse du taux de la réserve obligatoire, l’assouplissement des exigences en matière de provisionnement sur certains crédits classés. On peut comprendre cet assouplissement monétaire (Quantitative Easing « QE ») dans un contexte de crise, comme d’autres pays le pratiquent. Mais, il faudrait également se poser la question de l’efficacité de cette politique d’assouplissement monétaire surtout en matière de relance de l’investissement national.

Mais avant tout, une description du cadre législatif régissant la conduite de la politique monétaire s’impose.
La BAM a un mandat clair dont l’objectif principal est la Stabilité des Prix et elle doit également œuvrer pour une parfaite coordination entre la politique monétaire et la politique économique de l’Etat. Cette coordination se fera dans le cadre de l’indépendance de cette institution vis-à-vis de l’exécutif. En matière de conduite de la politique monétaire, l’indépendance est manifestée en prohibant toute relation directe entre cette institution et le Trésor Public, éliminant ainsi le recours systématique au seigneuriage (la planche à billets) pour le financement du déficit publique. D’autant plus que la politique de change est conçue par la BAM en coordination avec le gouvernement.
Dans les économies de marché ayant atteint un stade de développement institutionnel et économique avancé, le poids le plus important est accordé à l’objectif de stabilisation des prix, tout en dotant la conduite de la politique monétaire de la flexibilité nécessaire lui permettant de s’accommoder à la situation économique.
La «courroie» de transmission de la politique monétaire à l’économie passe par les banques commerciales à travers ce qui est couramment appelé le canal du crédit. En pratique, la BAM élabore un programme monétaire annuel annonçant un objectif de croissance de la masse monétaire en prenant en considération le schéma macroéconomique établi au préalable par le Gouvernement. Comme la majorité des banques centrales modernes, la BAM garde le monopole de l’émission de la monnaie de base (billets et pièces et avoirs en compte auprès de la BAM) mais délègue le pouvoir de création de la monnaie scripturale (qui constitue la principale composante masse monétaire) aux banques commerciales. La BAM affecte la capacité de création monétaire des banques et le coût du crédit bancaire en régulant la liquidité bancaire et influençant le coût de refinancement sur le marché monétaire. L’efficacité de la transmission de la politique monétaire au reste de l’économie et la réalisation de ses objectifs détermine la crédibilité de la conduite la politique monétaire.

Chères Banques commerciales, Chères Salles de Marché: les QE ne fabriquent pas de monnaie

Les opérations de QE n’ont en fait rien de bien exotique ou toxique, cela ne dépend que de vous. Ce n’est après tout que l’extension d’une pratique assez ancienne exercée de manière routinière par les banques centrales pour piloter au jour le jour le taux d’intérêt des marchés monétaires, et ainsi ajuster les flux de liquidité aux besoins de leur politique : ce qu’on appelle l’Open Market ; une opération au cours de laquelle la banque centrale rachète à une banque commerciale des titres courts de la dette publique (bons du trésor) que celle-ci échange contre l’écriture d’un crédit venant augmenter le montant des réserves que cette banque commerciale consigne à la banque centrale.

Cette transaction n’est pas réglée en monnaie commune, la monnaie commerciale de tous les jours, mais en « monnaie banque centrale » c’est-à-dire un instrument de paiement purement comptable conçu pour faciliter les règlements interbancaires entre banques commerciales ayant un compte logé à la banque centrale, ou entre celles-ci et la banque centrale.
La spécificité de cette sorte de monnaie est que personne ne peut s’en servir en dehors du monde bancaire. C’est une monnaie qui n’est pas destinée à circuler, qu’on ne peut pas se passer de main en main, sauf si elle est d’abord convertie en espèces circulantes que sont les billets et la monnaie.

Dans ce type d’opération, la banque centrale inscrit au passif de son bilan une dette nouvelle (le crédit – créé à partir de rien – qui vient augmenter le volume des réserves de la banque commerciale), et porte à son actif la valeur du paquet de bonds ainsi acheté. Son actif global augmente du montant de la transaction. Quant à la banque privée, elle s’est séparée d’un paquet de créances sur le Trésor compensé, à l’actif, par l’acquisition d’une nouvelle créance sur la banque centrale (l’augmentation de ses réserves). Le total de son bilan ne change pas.
Elle n’est ni plus riche, ni plus pauvre.
Ce que l’on a est une opération dite de Swap par laquelle la banque centrale échange une créance sur le trésor contre une créance équivalente sur le secteur privé, l’objet de cet échange étant d’exercer une action sur les taux courts. Sur le plan monétaire, le seul agrégat qui augmente est la monnaie de base (ce que l’on appelle la monnaie banque centrale).

M. JOUAHRI, évitant les Swaps portant sur des volumes de dettes publiques beaucoup plus élevées, des maturités beaucoup plus longues, et surtout incluant aussi la reprise de créances privées (obligations émises par des entreprises, des banques ou des organismes financiers, et même des valeurs modernes plus exotiques obtenus par titrisation). L’idée que se font les dirigeants des banques commerciaux et qu’il s’agirait d’un cadeau monétaire massif de l’État. C’est une légende.
Quid des problèmes de Cash Flow et de trésorerie qui découleront de l’augmentation de son passif ?  Avec quoi va-t-elle s’acquitter de sa dette ?
Le QE reste confiné à la sphère de la banque centrale.
Les QEs sont des outils de politique monétaire conçus à l’origine pour produire de la relance économique par une action indirecte sur les taux. Mais l’intention n’est pas et n’a jamais été, d’agir directement par la création monétaire.
C’est cependant ce que croient la plupart des gens (les banquiers, les journalistes et les commentateurs économiques média), car c’est à travers la lanterne de l’ancienne mécanique monétaire des manuels des années 60 qu’ils continuent de lire et de décrypter ce qui se passe. Il est étrange que nulle part, en particulier au niveau des banques centrales Occident et de leurs experts, ne s’élèvent de voix pour les détromper.
Après tout, même s’ils savent que ce qui s’écrit et se colporte dans les médias est faux, ils n’en sont pas fondamentalement mécontents.
Pourquoi ?
Parce que toute leur philosophie de l’action monétaire s’organise désormais autour de l’idée que ce qui est essentiel est la gestion des anticipations du public.
Pour qu’il y ait reprise, il faut que les gens y croient.
Et ils n’y croiront vraiment que si les autorités s’engagent fermement, et de manière crédible, dans une voie qui leur laisse pressentir la réapparition d’une véritable reprise porteuse du retour d’une dose équilibrante de « bonne » inflation. La difficulté cependant est de déclencher et d’entretenir cette anticipation avant même que n’émergent les premiers signes et manifestations concrètes de ce retournement.
C’est là qu’intervient le QE. Compte tenu de ce que croient, faussement, les gens, faire du QE revient à envoyer un signal très fort à l’opinion, un signal qui doit déclencher des anticipations favorables même si on sait que l’effet réel d’un QE n’est pas ce que croient les gens sur la base de la conception qu’ils ont de la manière dont se fabrique la monnaie.
Il ne faut surtout pas les contredire, ni leur révéler que les vertus monétaires qu’ils prêtent à la technique des QE ne sont en réalité qu’une illusion, un mirage.
Le plus remarquable est que cette stratégie semble avoir presque fonctionné par 3 fois au cours des 10 dernières années. Mais à chaque fois cela n’a duré que le temps d’un feu de paille, la déception la plus cruelle étant celle de 2019.
D’où viennent ces déceptions en série ?
La réponse se trouve dans une double erreur de départ : tout d’abord, l’illusion du plus grand nombre quant aux effets monétaires du QE, mais aussi l’extraordinaire naïveté des autorités dans leur croyance en la puissance des effets d’anticipation. A chaque échec elles ont réagi en considérant que si cela n’avait pas marché c’est parce que le signal envoyé n’avait pas été assez fort pour être crédible et écouté. D’où la surenchère des QEs : à chaque fois qu’une nouvelle crise de liquidité s’annonce elles répondent en doublant, voire en triplant la donne. Non, de leur point de vue, il n’est pas question de douter un instant que ça ne marche pas.
M. JOUAHRI empêché qu’il s’acharne dans l’erreur.

La faible efficacité des QEs des banques centrales occidentales pour le redémarrage économique est due aux mesures de contraction budgétaire et d’assouplissement monétaire quantitatif (réalisé par les grandes banques centrales) qui ont timidement stimulé la consommation des ménages, les investissements et la croissance des pays développés.
La baisse phénoménale des taux d’intérêt à des valeurs proches de zéro pendant presque 7 ans n’ait pas été exploitée par les gouvernements pour investir dans les infrastructures, l’éducation, la technologie et le social. On estime qu’il a favorisé une augmentation marquée de l’endettement, de la capitalisation boursière et des gains du secteur financier au dépend de l’économie réelle. Il est à noter que des taux d’intérêt proches de zéro ne se traduisent pas nécessairement par une hausse des crédits d’investissement.
Quand les banques ont la liberté de choisir, elles optent pour des bénéfices sans risque ou même pour la spéculation plutôt que pour le crédit au service de la croissance économique.

M. JOUAHRI, Introduisant un Quantitative Easing Ciblé (QEC)

Je vous propose l’introduction d’une composante nouvelle dans la politique d’assouplissement monétaire quantitatif que la BAM va mener. Ce seront des QEs ciblés (QEC) : QEC-Sécurité sociale, QEC-Infrastructure, QEC-Entreprises publiques & Actifs publiques…
Le principe commun est la création monétaire ciblée par la BAM caractérisée par :
1) des objectifs bien déterminés,
2) limitée dans le temps (3 à 5 ans par exemple),
3) respectant le cadre législatif de la BAM et de la conduite de la politique monétaire.
Conclusion:
M. JOUAHRI, la création monétaire ciblée (de l’ordre de quelques milliards de Dhs par an) pourra générer de l’inflation initialement (1 à 2 ans). Mais, une fois la dynamique positive sur l’économie réelle enclenchée, à travers l’augmentation de la demande effective (surtout en termes d’investissement), elle finira par générer un effet global positif sur l’économie du pays.
De plus, la masse monétaire crée sera ponctionnée progressivement au fur et à mesure que la BAM recevra (en tant qu’investisseur détenteur de titres financiers ayant servi à l’injection monétaire ciblée) les Cash Flows émanant de l’activité financée. C’est donc une injection temporaire de masse monétaire. C’est une sorte de seigneuriage direct REVERSIBLE évitant le dérapage classique des gouvernements et des effets improductifs.
Dans ce temps de crise, on attend une politique monétaire accommodante, efficace et osée.

M. JOUAHRI, vous êtes la seule personne garante du suivi de cette politique.

Oussama OUASSINI 
L’homme qui murmure aux oreilles des Hommes d’Etat.