L’extraordinaire écrivaine Mouna Hachim nous offre un nouveau chef-d’œuvre qui va intéresser les experts et amoureux de l’histoire du Maroc.


Extrait  :
Le froid était dans toute sa rigueur. De mémoire d’homme, on n’avait jamais vu une pluie aussi fine, traversant les couches d’habits et mouillant la chair transie, donnant l’impression de pénétrer jusqu’à la moelle de l’os.
À la pointe du jour, l’avant-garde almoravide, armée de longues piques et de javelots, avança sous un déluge de flots devenus rageurs ; larmes du ciel pleurant la folie des hommes assoiffés du sang de leurs frères.
Les deux armées furent bientôt en présence.
La rencontre eut lieu au pied du plateau du Guig, désert de roche calcaire aux environs de Marrakech, livré à la fureur d’un vent cinglant. C’est là que tous les partisans du prétendu Mahdi et les tribus ralliées à sa cause avaient déferlé comme une avalanche.
Ils étaient estimés à quelque quarante mille hommes, en majorité des fantassins, mais si exaltés, si pleins d’ardeur, que leurs forces en paraissaient décuplées.
À leur tête se trouvait le lieutenant almohade Abdelmoumen al-Goumy, un autre compagnon de route de Ben Toumert, venu du Maghreb central, d’une origine berbère, bien qu’il se plaise à se construire lui aussi une généalogie arabe ….
Ben Toumert était resté pour sa part, durant cette bataille, dans sa tanière rocheuse pour galvaniser, dans un prosélytisme frénétique, d’autres combattants….
(Ben Toumert ou les derniers jours des Voilés, Editions La Croisée des Chemins, Casablanca).

Quelle est l’importance de votre dernier livre pour l’histoire du Maroc et pourquoi avez-vous choisi, cette fois-ci, d’écrire sur cette période d’Ibn Toumart ?

Les ouvrages nationaux relatent à juste titre les réalisations almohades dont les traces sont encore éclatantes au Maghreb ou en Andalousie. Certains choisissent l’aspect relatif à l’étendue de leurs conquêtes, l’unification des deux rives et l’élargissement de leurs territoires en Andalousie et au Maghreb jusqu’à Tripoli à l’est, en évoquant leurs célèbres batailles dont la victoire retentissante d’Alarcos. D’autres exposent leurs édifices civils ou militaires et leurs réalisations architecturales, sans conteste admirables, avec des chefs-d’œuvre comme la mosquée archétypale de Tinmel, au cœur du Haut-Atlas, berceau de leur mouvement… On peut aussi disserter, au-delà du rigorisme moral, sur l’épanouissement intellectuel et l’éclosion d’une culture spécifique, nourrie d’influences synthétisées, sahariennes, méditerranéennes, orientales… Que dire de la prospérité économique, des productions agricoles et artisanales, du développement du commerce et de l’industrie et de l’ouverture sur la Méditerranée !
Et si les dérives sont signalées, elles sont relativisées et mises sur le même plan que celles pratiquées par tous les États à travers les espaces et les temps ; ce qui reste en partie juste compte tenu des violences inhérentes aux pouvoirs politiques. Sauf à rappeler que cette violence fait partie intrinsèque de la doctrine almohade à ses débuts au nom d’une conception du jihad qui englobe également les musulmans et considère les Gens du Livre comme incroyants.
Dans le contexte actuel, il me semblait important de rompre avec certaines visions angélistes de l’histoire et de remonter loin dans la genèse de cette violence doctrinale qui prend prétexte de la religion pour établir par la force un état de fait.

En tant qu’écrivaine et chercheuse croyez-vous que l’histoire du Maroc a besoin d’une nouvelle réécriture ?

Absolument. C’est dans cette logique du droit à l’initiative historique entamée par des intellectuels marocains que s’inscrivent notamment les chroniques élaborées dans mon ouvrage « Histoire inattendue du Maroc ».  Ce sont des chroniques thématiques, reposant sur des bases documentaires variées, abordant l’histoire sous d’autres angles en accordant davantage de place à quelques faits et figures inhabituels.
Enigmes, anecdotes, contrevérités, épisodes insolites, trahisons, guerres intestines, bains de sang… Autant de pages que certains préfèrent édulcorer ou arracher des annales, offrant une vue chronologique lisse, tournée sur les institutions et sur les réalisations dans une succession de dates et de noms.
Il est clair qu’une tentative de débroussailler les contes officiels élaborés au fil des siècles et
soutenus avec force dans les manuels scolaires scolaires, s’avère un exercice périlleux, mais finalement très passionnant.

Dans les livres de Mouna Hachim, quelle est la place et l’importance qu’occupe la femme marocaine ?

Il va sans dire que l’histoire est racontée par les hommes. A partir de là, les sources relatives au rôle des femmes sont avares alors que d’autres se complaisent dans les clichés fantamagoriques sur la femme « orientale » se languissant souvent dans son harem. Mais malgré cela se profilent quelques figures marquantes dans mes livres.
Par ordre chronolgique : quelques noms comme Fatima Fihriya d’origine Kairounaise, fondatrice au 9e siècle, au centre de la médina de Fès, de la Mosquée Qaraouiyine ; alors que sa soeur Meryem, bâtissait deux ans plus tard, la Mosquée Andalus.
Sous le règne almoravide, au 11e siècle, il y a la figure connue de Zaynab qui avait joué un rôle politique certain auprès de son époux Youssef ben Tachfine fondateur de la ville de Marrakech dont elle aurait elle-même dessiné les plans.
Autre figure saisissante dont on a très peu d’informations : Zhor la Wattasside qui allait régner un an sur la ville de Fès avec la chute de la dynastie mérinide jusqu’à l’entrée du cousin Mohamed Cheikh dans la ville où il avait été proclamé en 1472.
Pendant le règne saâdien, je ne peux pas ne pas mentionner Sahaba Rahmaniya, mère du sultan Abd-el-Malik dont le rôle politique est attesté. C’est bien elle, qui en compagnie des princes saâdiens enfuis du Maroc avait pris la direction de Tlemcen puis d’Alger et enfin fut reçue par Mourad III en tant qu’ambassadrice dans son palais du Bosphore dans le cadre de la demande d’aide aux Ottomans…
Que dire de Khnata bent Beggar, épouse du sultan Ismail, surnommée la Sultane savante et désignée par Magali Morsy comme «la véritable héritière légale de Moulay Ismaïl». On la connaît pour ses intrigues légendaires et du poids qu’elle avait usé auprès de l’armée pour faire appeler sur le trône son fils My Abd-Allah pendant la crise de succession qui avait duré 30 ans à la suite de la mort de Moulay Ismaïl.
Evidemment, d’autres femmes sont mentionnées dans mes livres, comme Al-Horra, reine de Tétouan, désignée dans les correspondances chrétiennes : La noble dame à laquelle je consacre un chapitre entier, alors que dans ce dernier roman, une large place est accordée à des figures féminines almoravides dont le rôle joué dans les drames politique joués est épatant.