« Jai été abandonné d’une façon injuste, inhumaine et sans raison, après 32 ans d’ancienneté dont 22 ans de commandement à bord des navires COMANAV »

Les gens qui voyageaient souvent depuis le port de Tanger-ville et ceux qui y travaillaient le connaissent parfaitement bien.
Le Commandant AMELLAH Elhassan était parmi les grands professionnels du transport maritime marocain. Soudain, un désastre qui n’a pas de fin est venu l’arracher d’une stabilité que lui et ses collègues croyaient assurée jusqu’à la retraite.
Premier témoignage d’une histoire tragique qui a commencé en 2009 et n’a toujours pas été réglée. Deux décennies plus tard, le calvaire est plus dur à supporter.
Presque 2000 marins et personnels de la COMANAV réclament justice et font face à de nombreuses difficultés sociales et économiques. Mais personne ne veut leur rendre justice. Quelques détails due grand injustice dans cette interview.

Commandant, vous êtes parmi les victimes de l’affaire Comanav. Comment votre périple a-t-il commencé ?

Je vais vous raconter l’histoire depuis son début et durant ses principales phases, notamment celles qui me concernent personnellement.
Tout d’abord, c’est en 2007 que la COMANAV est cédée à la compagnie Française CMA- CGM (Privatisation), faisant ainsi partie du groupe CMA-CGM. Une année plus tard, en 2008, ce qui reste de la COMANAV est divisée en 2 pôles : COMANAV Cargo et
COMANAV Ferry et qui sont juridiquement deux compagnies bien séparées mais toutes les deux, sous la houlette du groupe CMA-CGM.

Que s’est-il passé alors concernant votre cas ?
Le 1er janvier 2009, la direction de la COMANAV, ou de ce qui en reste, décide, sans demander notre avis en tant que personnel navigant, de se passer des mes services et me met à la disposition de la compagnie COMANAV Ferry du fait que je commandais le Ferry CF ALMANSOUR. J’ai reçu une lettre d’intégration dans la COMANAV Ferry avec l’intégralité des droits acquis chez la COMANAV. (Plus de 28 ans de carrière à bord des navires cargo et pourtant
j’ai reçu une lettre d’intégration dans la COMANAV Ferry au lieu de la COMANAV Cargo !)
Le 27/12/2008 j’ai débarqué en congés du CF ALMANSOUR en bonne et due forme pour
reprendre la navigation à bord du même navire le 10/01/2009 (fin de mon congé). Avant l’expiration de mon congé, la direction de l’armement m’informe par e-mail de la décision de prolonger mon congé jusqu’à nouvel ordre (Une réaffectation). J’étais mis donc en attente d’embarquement jusqu’à nouvel ordre sans la moindre explication. Cependant, j’apprendrai à mon grand étonnement que la COMANAV Ferry avait fait appel à un commandant étranger
pour occuper mon poste de commandement.
Suite à cela, en février 2009, j’ai demandé le départ volontaire anticipé à la COMANAV. Ma demande a été refusée sous prétexte que la compagnie avait toujours besoin de mes compétences.
Presque deux semaines plus tard, la COMANAV Ferry est vendue au groupe COMARIT. La COMANAV Ferry
continue à payer régulièrement mon salaire complet jusqu’au mois d’avril 2009. A ma grande surprise le salaire du mois de mai 2009 a été traité différemment des mois précédents. Je ne perçois plus que la moitié de mon salaire, la direction de la COMANAV Ferry arguant le fait que j’étais considéré en état de disponibilité (alors même qu’elle avait engagé un commandant étranger pour me remplacer). J’ai donc envoyé une demande d’éclaircissements au PDG de la COMANAV Ferry, restée sans suite.

Que s’est-il passé après ?

En juin 2009, j’ai envoyé une lettre de protestation au même responsable lui  réclamant mes droits puisque toute ma carrière s’était déroulée au sein de la COMANAV de 1979 jusqu’au 13/02/ 2009, date à laquelle la COMANAV Ferry a été vendue au groupe COMARIT. J’ai reçu un accusé de réception de ma lettre me disant tout simplement que la COMANAV Ferry était seule habilitée à se prononcer sur ma demande. Ainsi, 32 ans d’ancienneté se sont volatilisés du jour au lendemain. Comble de malheur, ceux qui doivent régler ma situation ne me connaissent même pas du moment que je n’ai jamais travaillé à la COMANAV Ferry après son passage à la COMARIT en février 2009. ( je rappelle que jai été débarqué en congé par ordre de la compagnie le 10/01/2009).
Par la suite, je n’ai reçu aucune information concernant ma situation au sein de la compagnie malgré les nombreux courriers de demandes d’éclaircissement que j’ai adressés à la fois au Président de la COMANAV CARGO (groupe CMA-CGM – Vendeur) et au Président de la
COMANAV Ferry (groupe COMARIT – Acquéreur).

Vous vous êtes retrouvé devant une impasse sans issues. Qu’avez-vous décidé de faire alors ?

Suite à ce blocage, je n’avais d’autre issue que de recourir au tribunal avec l’espoir de me remettre dans mes droits. j’ai confiance en la justice et  j’ai donc engagé une procédure devant le tribunal de première instance de Tanger -chambre sociale- le 21/07/2009 pour réclamer le complément de salaire.
Vu le comportement de la COMANAV et COMANAV Ferry, jamais vu dans une compagnie digne de ce nom, et vu aussi le grand silence de l’autorité maritime qui doit assurer, préparer et mettre en application les mesures législatives et réglementaires relatives à la marine marchande, et qui doit veiller à l’application du code de travail maritime,  j’ai été amené avec beaucoup de regret à aller vers la justice contre ma compagnie dont je gardai beaucoup des bons souvenirs, des souffrances et des difficultés. J’ai été félicité plusieurs fois par les 4 PDG que j’avais connu à COMANAV (nommés tous par dahir ), félicité par la marine
marchande marocaine et étrangère et par les inspecteurs nationaux et internationaux. J’ai
participé à la formation de tous les officiers qui naviguent actuellement avec COMANAV et autres compagnies. j’ai participé au développement économique national et international pendant mes 38 ans de carrière. J’ai même risqué ma vie à bord d’un pétrolier au golf persique en 1984 (durant la guerre entre l’IRAK et l’IRAN) pour servir mon pays et aller chercher du pétrole à RAS TENNORA en Arabie Saoudite, en plus d’autres aventures. Rien n’a été pris en considération par les patrons de la COMANAV et COMANAV Ferry et par les responsables de la marine marchande. J’ai souhaité avoir une simple raison à cet acharnement, à cet harcèlement moral et cette humiliation totale mais malheureusement mes demandes sont restées sans réponse.

Qu’avez-vous décidé de faire alors pour obtenir vos droits ?

Je me suis adressé à la justice le 21/07/2009 contre COMANAV Ferry afin de rétablir mes droits les plus fondamentaux, tout en sachant pertinemment que mes moyens étaient plutôt restreints face aux moyens financiers d’un armateur, qui était doublé d’une position de maire de Tanger et de parlementaire à la chambre des Conseillers.
Le 23 mars 2010, j’ai reçu par un huissier de justice une mise en demeure pour regagner
la compagnie à Tanger deux jours plus tard. Une fois à Tanger, une décision de détachement arbitraire m’a été remise par la Direction de l’Armement soi-disant dans l’attente de mon embarquement. Cette attente a duré 27 mois sans attributions ni responsabilité avec 50% de
mon salaire.
Incroyable mais vrais, abandonné pendant plus de 27 mois, soi-disant en attente à
l’embarquement dont 4 mois avec plein salaire (janvier, février, mars et avril 2009 ) puis 22 mois abandonné avec 50% de mon salaire sans aucun changement dans ma situation et sans préavis ni explications. Et puis la compagnie décide d’une façon arbitraire et unilatérale contre ma
volonté et mon gré de m’installer derrière un bureau à Tanger pour travailler à plein temps
depuis le 29/03/2010 sans attributions ni responsabilité et avec 50% de mon salaire.

Vous n’avez jamais eu un contact direct avec vos anciens patrons ?

Dans cette turbulence où j’ai été placé sans jamais le vouloir et lors d’une réception, organisée le 13 mai 2010, dans
le domicile du PDG de la COMARIT (ndlr : Ali Abdelmoula) en présence de son fils (Maire de Tanger à l’époque) le Président m’a fait part de ses regrets pour tout désagrément dont lui et sa société seraient à l’origine car, dirat-il, après enquête diligentée par ses soins, il s’était avéré qu’il n’avait pratiquement rien à me reprocher. Il m’avait confirmé qu’il avait donné ses instructions aux services concernés pour que ma situation soit dénouée, car selon lui, j’avais été victime d’une injustice totale et qu’il avait donné ses instructions au vice-président et au directeur d’armement pour régulariser ma situation financière au dernier centime et de m’embarquer le plutôt possible.
A ce jour, malheureusement, les instructions et les ordres de la présidence sont restés sans suite.
Je me sens lâchement abandonné par les deux compagnies COMANAV (groupe CMA-CGM Vendeur) et COMANAV Ferry (groupe COMARIT Acheteur). Abandonné d’une façon injuste, inhumaine et sans raison, après 32 ans d’ancienneté dont 22 ans de commandement à bord des navires COMANAV. Abandonné surtout par les responsables de la COMANAV qui ont refusé
catégoriquement mon départ volontaire sans aucune raison étant donné que le départ était ouvert pour tout le monde.
Suite à ce double blocage, je n’avais d’autre issue que de recourir au tribunal avec l’espoir de me remettre dans mes droits.

C’est la seconde plainte que vous faites pour le même sujet ?

En effet, le 21 avril 2014, j’ai engagé une deuxième procédure devant le tribunal de première instance de Casablanca contre la COMANAV. Mais suite à la mauvaise interprétation du dossier , le jugement a été prononcé en faveur de la compagnie le 30 janvier 2018. Actuellement le dossier est toujours devant les juges de la cour de cassation. Cette plainte en urgence n’a pas fait surface à ce jour…

Propos recueillis par A. R.