Le chantier de réaménagement des ruelles et bâtiments de l’ancienne Médina sauvra-t-il définitivement Dar Niaba?
Passer à côté et ne pas restaurer ce joyau du patrimoine historique de Tanger serait un crime. Car Dar Niaba mérite non seulement d’être restauré mais aussi retrouver sa vraie valeur en le transformant en musée.
A la Dépêche, on l’avait écrit en 2015, puis en 2016 et à chaque fois qu’il était possible, on attirait l’attention des autorités locales sur cette affaire très sensible.
L’importance du bâtiment de Dar Niaba, son histoire et sa valeur comme patrimoine historique tangérois, mérite d’être soulignée à chaque instant et par tout le monde dans l’espoir qu’il soit définitivement protégé.
Mais malheureusement, Dar Niaba a été abandonné durant plusieurs décennies, comme le sont plusieurs autres bâtiments de la ville.
Il y a quelques années, encore, une partie de cet édifice était tombée en ruine. Fort heureusement, les administrations qui l’exploitent étaient fermées. Plus de mal que de peur, sauf que le mal est très profond pour une ville qui cherchait alors à devenir la dixième merveille marocaine inscrite sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité de l’Unesco.
Pour les responsables qui gèrent les affaires de Tanger sans bien connaître l’importance de son histoire et de son passé, voici un aperçu relatif à ce bâtiment. Une histoire qui mérite la lecture et la réflexion: «En 1832, une ambassade française dirigée par le Comte de Mornay est arrivée à Tanger pour rallier Meknès. Parmi la suite du Comte, se trouvait le peintre Eugène Delacroix dont les tableaux orientalistes qui deviennent une référence en Europe.
A partir de 1850, Tanger reçoit de plus en plus d’étrangers: britanniques, espagnols, français, portugais, italiens …
Le Makhzen, éprouvant le besoin de contrôler l’arrivée des délégations étrangères à Tanger, y établit en 1851, Dar Niaba dans la rue des Syaghine qui devient alors un rouage essentiel de la diplomatie marocaine. Le Mendoub représentait le Sultan dans la ville et constituait l’interlocuteur principal des consuls des grandes puissances européennes. Un nouvel épisode épidémique a eu lieu en 1855. L’année suivante, un important traité anglo-marocain de libre échange commercial est signé. Les britanniques créent un service postal en 1857, imités ensuite par les français et les espagnols. Une liaison télégraphique est également établie avec Gibraltar, Ceuta et Algésiras.
Pour la première fois dans l’histoire du pays, Moulay Abderrahmane décide de déléguer la gestion des Affaires étrangères à un na’ib (représentant) du sultan qui résiderait, non dans la capitale, Fès, mais à Tanger où se trouvent les représentations diplomatiques et consulaires des puissances européennes. Choix judicieux car, au lieu d’attendre que ces puissances demandent l’ouverture d’ambassades ou consulats dans la capitale du pays -une éventualité qui serait fâcheuse à plus d’un titre-, le sultan décide de devancer l’évolution des choses en cantonnant l’activité diplomatique, et les affaires des ajnas en général, dans un port du nord, loin du siège du gouvernement.
En 1848, le premier na’ib nommé, Bouselham Aztut, est encore gouverneur de Larache et des provinces méridionales. Mais, à partir de 1854, Mohammed Al Khatib se consacre exclusivement aux Affaires étrangères. Désormais, la «Dar al niaba al sa’ida», dans le jargon makhzenien, s’installe dans la kasbah de Tanger, et jusqu’à l’établissement du protectorat en 1912, aura le monopole des relations avec les puissances étrangères.
Certains historiens ont voulu voir dans la création de cette institution un acte audacieux de la part du sultan et une volonté de réformer le Makhzen en le dotant d’un appareil moderne pour la gestion des Affaires étrangères».
2015: Tanger vit sous les rythmes très poussés de projets qui lui redonnent la place qu’elle a toujours occupée parmi les plus importantes villes au monde. Mais il y a bien un hic. Dans tous ces projets, les autorités de tutelle oublient de redonner vie à certains monuments des plus prestigieux de la ville. Dar Niaba en fait partie, mais le bâtiment reste prisonnier de l’administration qui l’occupe et participe amplement à sa dégradation. Les visites à Dar niaba sont certes permises, mais entre les bureaux de l’arrondissement chargés des affaires des habitants de cette partie de l’ancienne Médina de Tanger et les bureaux des Adouls en étage, le visiteur ou le touriste ne sait plus à quel saint se vouer. Aujourd’hui, le bâtiment de Dar Niaba est toujours là, rappelant aux autorités qu’elles l’ont abandonné comme elles lont fait concernant tous les bâtiments historiques de la ville.
Aujourdhui, Tanger se transforme en une métropole qui ignore malheureusement le passé glorieux de la ville internationale. Et ses autorités s’en moquent. L’état des lieux de Dar Niaba est plus que dégradé et tous les experts espèrent que cet espace si riche soit transformé en un musée rappelant les premiers pas de la diplomatie marocaine. Ce monument historique bénéficiera-t-il de la réhabilitation qu’il mérite? Nous le saurons très bientôt.
A. REDDAM