Par Mustafa Akalay Nasser, Directeur de L’Esmab.UPF.

Spécialiste de l´urbanisme et du patrimoine, auteur de plusieurs ouvrages consacrés notamment à la ville et à l´art des jardins. Le tangérois Mohamed Métalsi dans ce livre cités d´art, cités d´histoire, s’est fixé une tâche difficile : présenter les principaux postulats théoriques concernant l’étude de la cité musulmane marocaine.
Passant en revue les différentes théories sur la forme de la cité musulmane, théories qui invoquent tour à tour l’adaptation au climat, les contraintes dues aux matériaux et aux connaissances techniques, la nature du site, les besoins liés à l’économie ou au rôle de la stratégie militaire, enfin l’importance de phénomènes religieux. Il puise ses informations à deux sources : ses enquêtes personnelles effectuées sur le terrain et des recherches bibliographiques.
Le livre de Métalsi est enrichissant dans la mesure où il se situe dans une perspective interdisciplinaire, il fait appel aux éléments de l´histoire, de la géographie, de la sociologie, de l´anthropologie de l´espace, de l’architecture et de la sémiologie urbaine.
La médina exprime la culture qui la structure, celle de sa tradition orale, et donc les préoccupations des hommes qui l´habitent. Une médina étant d´abord au plan démographique, un espace de convergence vers lequel s´orientent des hommes aux origines et aux caractères culturels hétérogènes. La médina est ainsi conçue et réalisée dans son bâti qu´elle exprime au moins deux vérités vécues et partagées par le groupe :
1) La prééminence de l´immatériel sur le matériel, d´abord, traduite en termes d´architecture urbaine par la position dominante des mosquées, à la fois lieux de rassemblement et d´élévation.
2) La fermeture, ensuite, des habitations aux regards extérieurs pour garantir la préservation de l´intimité familiale.
Il nous rappelle que la topographie est complexe, pleine de montées et descentes, mais qui permettent toutefois de se repérer dans le lacis des ruelles. Beaucoup de murs sont aveugles puisque les maisons sont ouvertes sur les cours intérieures et non vers l’extérieur. De l’ouvert au fermé, de l’extroverti à l’introverti, la ville finit par dessiner un espace de l’entre deux, où l’histoire et le site décrivent les contours (un labyrinthe organisé). Dans la médina, les ruelles s´achèvent fréquemment en impasse et l´accès en est réservé aux résidents ou aux hôtes. La maison reste l´espace de la parole intime, de sorte que les logements sont l´aboutissement du dehors qui se clôt sur l´intimité, comme la rue et la place sont les prolongements ouverts du logement. En réalité, la citadinité est liée à l’histoire des familles illustres qui ont des caractéristiques professionnelles et morales spécifiques. Les quartiers résidentiels, relativement exclus de l’espace public et commercial, sont le produit de cet art de bâtir qui octroie à la hawma et au derb une certaine intimité. La spatialité de la dite Hawma est reliée à un urbanisme du signe, l’espace bâti de la médina donc est saturé de significations : Une structure qui se décompose en éléments discrets, groupes, organismes complexes, éléments de base pouvant faire l’objet d’opérations simples ou complexes.
À travers son livre, Métalsi démontre l’existence d’un ordre spatial dans l’organisation des médinas, de ses îlots et de ses unités spatiales. Il a pu résumer l’organisation de la ville marocaine dans un schéma logique, qui donne de la médina une image ordonnée particulièrement satisfaisante pour l’esprit. Ainsi sa description de la médina touche, et fait référence à l´anthropologie du dédale des rues et venelles, à la géographie humaine et économique des places et artères, à l’imbrication de l’architecture et de la spiritualité. L’ensemble est décrypté avec brio. Toute la médina est configurée sur la base d’éléments discrets (la cellule, la chicane, la porte, la cour, le chemin) et que toute la ville est une organisation rationnelle d’enclos, formant des enclos élémentaires.
Métalsi nous explique que le relevé d’architecture a permis de conduire « l’opération de démontage de l’espace bâti en ses éléments et l’observation des manières selon lesquelles ces éléments composent entre eux des unités ». Et que cette théorie de « l’enclos exclu » explique la dynamique de formation et la transformation spatiale du tissu de la médina d’un type d’édifice à un autre et d’une variante à une autre. La médina qui semblait avoir, à priori, une configuration spatiale “anarchique” et “désordonnée” nous livre, après lecture adéquate du plan urbain et de ses différentes composantes, un ordre intrinsèque, une cohérence et une logique spécifiques sécrétés non pas par des décisions et des réglementations objectives, c’est-à-dire écrites, et des représentations abstraites préalables, mais par un savoir-faire artisanal, un sens pratique liés à des conditions sociales de production de cette architecture. Une configuration urbaine dense, enfermée dans des remparts flanqués de tours de guet et de défense. Son plan urbain n’est pas le produit d’un plan directeur conçu préalablement par des urbanistes. Les rues et les ruelles surgissent en même temps que s’édifient les maisons et les quartiers. Les bâtisseurs cachent, dissimulent et réduisent au maximum les ouvertures à l’extérieur, mais laissent un minimum d’espace libre pour leur mobilité et celle de leurs voisins et des bêtes de somme dans leur quartier et entre les quartiers de la médina. Urbanisme et architecture sont ici l’expression de l’organisation sociale, car le lien entre espace et société est total. Les institutions urbaines, les communautés de quartiers, les corps de métiers, les groupements confessionnels contribuaient efficacement à la gestion de la ville et à la stabilité organique de l’espace bâti.
Cités d´art, cités d´histoire est un livre stimulant, il révèle à tous ceux qui se préoccupent de la ville musulmane des aspects souvent méconnus de leur domaine.
« Ce livre magique, dédié à Fès et Meknès, Rabat et Marrakech, Tanger et Tétouan, rappelle à notre mémoire que ces cités furent, de différentes manières, de hauts lieux de savoir, des carrefours de rencontres des cultures et des religions, d’importants centres de pouvoir et de négoce reliant le Maroc à l’Europe et à l’Afrique sous l’égide de plusieurs dynasties. Ce sont les fabuleux trésors que ces « cités d’art et histoire « recèlent que Métalsi veut partager avec le lecteur ; le visiteurs … : toutes sortes de monuments, casbahs, œuvres d’art, palais, places mythiques et jardins. C’est de ces joyaux que s’est constitué au fil du temps le charme exceptionnel des cités anciennes du Maroc ».

(Abderrahman Tenkoul).
Mustafa Akalay Nasser