Après la mort tragique de l’enfant Adnane, en septembre dernier, et l’immense émotion qui avait suivi ce drame, quelles sont les leçons que nous devons tous tirer de cette dramatique situation?
Un constat de départ plutôt désespérant. Nous avons traîné les pieds trop longtemps face aux drames intimes, tragiques de l’abus sexuel que subissent beaucoup d’enfants, garçons et filles.
Bien que la pédophilie et la pédocriminalité soient un phénomène mondial, chaque culture y répond selon ses propres lois et ses structures mentales. Il faut bien reconnaître que nous sommes dans une société où le non dit, le concept de «hchouma» et l’évitement face au tabou de la violence sexuelle infligée aux enfants, sont un obstacle majeur à la prise de conscience réelle de l’ampleur du phénomène et des dégâts psychiques considérables qu’il génère sur l’enfant.
Il serait temps qu’un changement de mentalité s’opère à ce sujet et l’émoi ressenti par beaucoup de nos concitoyens, face au drame indique dont a été victime le petit Adnane, semble témoigner que les choses commencent à changer (Les réseaux sociaux y ont contribué largement)..
L’action doit maintenant succéder à l’émotion et il revient à chacun d’y contribuer, de près ou de loin.
L’autre leçon est qu’il est grand temps, en haut lieu, d’entendre les doléances des associations luttant contre la violence faite aux enfants- violences sexuelles en particulier. En premier lieu, Il est plus qu’urgent de concrétiser leurs requêtes de changement sur le plan juridique et législatif de la sanction en matière pénale appliquée aux violeurs d’une manière générale, aux violeurs d’enfants en particulier. Il y a, dans ce cadre, à suivre les recommandations d’une des premières ONG créée en 2004 à Agadir, l’association «Touche pas à mon enfant». Cette association a fait et continue de faire un travail remarquable.
L’idéal serait que toutes les villes du Maroc, grandes ou petites, aient ou voient s’installer ce genre d’associations d’utilité publique et que l’Etat puisse les soutenir financièrement.

A votre avis, en tant que psychologue, quelles seraient aujourd’hui les démarches à suivre par les parents et à l’école pour informer et éduquer les enfants, à savoir réagir positivement face aux dangers de la pédophilie ?
Dans l’urgence, les medias- radios et télévisions- doivent mettre en place une vaste campagne pour alerter les parents en particulier avec les recommandations les plus simples à utiliser et à communiquer aux enfants pour se prémunir des prédateurs sexuels.
Le fait est que les parents peuvent aussi s’adresser directement aux enfants avec un discours en deux éléments qui peuvent leur sauver la vie. Dire et répéter de ne jamais laisser personne leur toucher les parties intimes. Dire et répéter aux enfants de ne jamais suivre un inconnu au prétexte qu’il leur propose une friandise, un jouet ou quoique ce soit d’autre.
Peut être que les écoles doivent prendre également le relais avec juste un outil captant l’attention: des affiches, des dessins ludiques et sans rien d’anxiogéne, portant sur cette délicate problématique.
Quant aux parents, certains sont avertis, responsables. Ils informent les enfants de ce qu’il y a à faire et à ne pas faire face à un éventuel prédateur sexuel. Cela a été dit plus haut. Par ailleurs lorsqu’ils détectent quelque chose d’anormal chez leur petit, ils consultent un professionnel-pédiatre ou psychologue- ou vont demander de l’aide auprès d’associations mais rarement auprès de l’école.
D’autres parents laissent leurs enfants en déshérence dans les rues parce qu’ils doivent aller travailler et qu’ils n’ont personne à qui les confier. C’est malheureux mais la pauvreté ajoutée à une forme d’inconscience des adultes fait le lit-si je puis dire- des prédateurs pédophiles.
Cela ne veut pas dire que les classes sociales favorisées soient épargnées. Bien sûr que non. En tout état de cause et c’est là où le bât blesse, beaucoup de parents, aisés ou de milieu modeste sont au fait de ce qui est arrivé à leur enfant. Celui ci s’est plaint à eux mais on le traite de menteur ou on lui demande de se taire parce c’est «hchouma». Il faut dire que le bourreau fait souvent partie de la famille proche ou du voisinage, du quartier. Cette réalité fend véritablement le coeur.
Enfin, une information vitale:
L’ONDE (l’office national des droits de l’enfant), présidé par la princesse Lalla Meryem, a mis en place, il y à 5 ans déjà, un numéro vert destiné au signalement d’enfants victimes de violences sexuelles, d’abandon et de négligence: ce numéro gratuit est le 2511. Un site web est également à la disposition du public pour toutes informations supplémentaires.

Pensez vous que les établissements scolaires doivent faire appel aux services des psychologues et des assistantes sociales et quel serait exactement leur rôle ?
Oui je sais, il ne faut pas rêver mais il serait temps, en effet, que toutes les écoles recrutent non seulement des psychologues scolaires chargés des problèmes d’apprentissage et des capacités cognitives mais également des psychologues cliniciens à même de détecter, en entretiens, les signes-symptômes d’un enfant abusé et/ou sous emprise d’un adulte prédateur.
Par ailleurs c’est aux psychologues que doit revenir la tâche de donner des cours d’éducation sexuelle. Et non pas à un professeur de matières pédagogiques, dont ce n’est pas le rôle.
De la même façon, l’école doit pouvoir bénéficier ponctuellement des services d’un ou d’une assistante sociale lorsqu’un enfant présente des comportements typiques qui sont souvent le résultat d’une maltraitance… quelqu’elle soit.

Le tissu associatif doit aussi participer à ces efforts de formation et d’information. Que doivent faire exactement les associations, de quartiers notamment, dans ce sens? Quelle serait leur mission?
Les associations de quartier n’ont souvent pas la compétence en matière de prévention de l’abus sexuel subi par les enfants. Elles peuvent par contre organiser des matinées ou après midi d’informations à ce sujet, en invitant psychologues, assistants sociaux, médecins…ou en s’attachant les services ponctuels d’un professionnel des troubles du comportement post traumatique qui apparaissent après tout type de maltraitances. Psychologue clinicien, psychiatre…

Propos recueillis par A. REDDAM