“Il faudrait au moins avoir un centre culturel dans chaque arrondissement de la ville; pour une génération saine d’esprit, capable de s’exprimer, et d’avoir un regard plus poussé sur son lendemain”
“Un pays ayant un héritage artistique très varié comme le nôtre est capable d’être pionnier mondial des arts dramatiques.”
Écrivaine d’art et culture pleine d’enthousiasme, Rania Entifi possède, à travers ses articles et ses reportages, la particularité d’être l’une des très rares “exportatrices” de l’image de marque de l’art et de la littérature marocains au-delà des frontières du Royaume. Un privilège pour Tanger.
● Comment ont été les débuts de Rania Entifi dans la presse et cette spécialité si difficile de la rubrique art et littérature?
Tout d’abord, permettez-moi de vous confier un secret: En réalité, après environ 1000 articles publiés sur Internet en environ huit ans, écrire un nouvel article est toujours pour moi l’occasion d’acquérir de nouvelles connaissances. J’ai toujours été passionnée voire même fascinée par la musique, le cinéma, les livres et ensuite Internet en 1997 quand j’étais lycéenne dans ma ville natale, Casablanca. Au fil du temps, j’ai commencé à participer aux forums de musique arabe et internationale en partageant avec d’autres internautes partout dans le monde les nouvelles de nos artistes préférés. Mais à l’époque ce n’est pas la presse que je visais, mais plutôt les médias. La création des sites web, l’audiovisuel, l’analyse et la sémiologie de l’image. C’est la raison qui m’a poussée à choisir les nouvelles technologies de l’information comme branche pour mes études supérieures à Casablanca. J’ai eu la chance d’avoir de grands artistes marocains et étrangers comme professeurs en histoire de l’art, multimédia, techniques audios et vidéos… ce qui m’a énormément inspiré pour mes projets d’études.
Après plusieurs années, durant différentes expériences professionnelles dans le domaine de la communication, multimédia et une petite expérience dans le cinéma social (qui étaient parfois décevantes) je continuais à partager un contenu artistique sur mes pages de réseaux sociaux. Ce qui n’a pas laissé indifférent les responsables de magazines électroniques culturelles au Maroc et au Moyen Orient, qui m’ont proposé une collaboration professionnelle, en publiant des articles dans les rubriques: mode, art et culture. J’ai découvert ensuite le domaine de l’investigation culturelle.
Rechercher des informations autour d’un sujet pendant des heures et les présenter en me basant sur mes connaissances académiques et professionnelles est ce qui me passionne le plus. Mon métier est mon hobby préféré.
● Le cas des programmes TV durant ce Ramadan témoigne bien de cette faillite du spectacle. Au fait, à votre avis, qu’est-ce qui rend si médiocres certains projets (films, romans, pièces théâtrales….) qui reçoivent pourtant l’appui des autorités responsables?
Il était une fois, un homme sage, nommé Albert Einstein qui a dit: ”La folie, c’est de faire toujours la même chose et de s’attendre à un résultat différent”. La télévision marocaine diffuse des émissions et des séries produites par les mêmes entreprises, avec les mêmes présentateurs, filmées dans le même studio, les mêmes protagonistes, la même équipe technique, en se basant sur des scénarios sans aucune originalité. Il est difficile d’imaginer de meilleurs résultats, artistiquement parlant. Le téléspectateur marocain se trouve face à un contenu qui n’est pas à la hauteur de son intelligence. Notre culture qui déborde de richesse, est télétransmise d’une façon dégradante.
Ceci ne représente pas les valeurs culturelles et morales de notre patrie et ses citoyens à leur juste valeur.
Nous avons une immense culture de littérature orale qui prend la forme de contes autant pour enfants que pour les adultes, de dictons, de proverbes, de devinettes, de la poésie populaire (zajal). Un pays ayant un héritage artistique très varié comme le nôtre est capable d’être pionnier mondial des arts dramatiques. Pour réaliser ceci et pour se faire remarquer, rien qu’au niveau de l’Afrique du nord, nous avons besoin d’une révolution artistique.
Il nous sera toujours difficile d’avoir une programmation ramadanesque digne de notre héritage culturel tant que la production est dirigée de la même manière. Il faut encourager les vrais talents de différentes tranches d’âge. Retirer toutes techniques de productions – qui graphiquement- n’est qu’une copie de ce qui a été présenté auparavant.
Avoir recours aux lauréats des instituts des arts dramatiques et visuels, former des clubs de lecture, des ateliers artistiques et des troupes de théâtres au niveau des écoles, des universités, et la formation professionnelle.
Durant ces trois dernières années, le téléspectateur a eu droit à quelques feuilletons avec une meilleure qualité de production comparés au sitcoms, et qui – selon le nombre des vues – ont été suivis par un large public. Malgré leurs audiences importantes, ces projets ont comporté énormément d’erreurs autant techniques que dramatiques, ce qui n’a pas échappé à l’œil du public.
Si le citoyen marocain est ouvert aux séries et films américains, européens, moyen-orientaux, asiatiques…il est bien capable de différencier un bon programme d’un mauvais, il faut arrêter de prendre les Marocains pour des pigeons!
● Est-ce que la production locale en matière d’offres artistiques et littéraires atteint aujourd’hui un niveau prometteur, notamment avec la création de nouveaux espaces culturels?
De nos jours, il y a des espaces culturels où le citoyen peut assister à des événements culturels, musicaux, littéraires, théâtraux…Mais malheureusement, il y a des concepts artistiques qui n’ont pas du tout été respectés dans certains de ces espaces. Il s’agit de l’architecture, du design d’intérieur et de la décoration. Dans un monde où les Romains construisaient des théâtres à l’intérieur de la cité, sur un terrain plat, avec des gradins en bois, des murs élevés et un orchestra semi-circulaire, nous nous retrouvons dans certains espaces où le public a du mal à voir la scène, et la qualité du son est très faible. Ces espaces ont besoin des aménagements qui répondent au besoin du public et des artistes, également.
D’autre part, je pense que les cafés culturels sont pour les amateurs d’art, un endroit d’échange culturel et social. Ils sont aussi comme des petits musées pour les touristes étrangers qui tombent sous le charme de Tanger et sa médina. Mais à mon humble avis, l’art devrait faire partie du système pédagogique et éducatif, tout comme avant. La musique, le théâtre et la littérature ont une grande influence sur le comportement des enfants et des adultes. Il faudrait au moins avoir un centre culturel dans chaque arrondissement de la ville; pour une génération saine d’esprit, capable de s’exprimer, et d’avoir un regard plus poussé sur son lendemain.
Propos recueillis par Abdeslam REDDAM