– Mustafa Akalay Nasser est directeur d’Esmab, UPF, Fès
Dans le voyage initiatique d’Antonio Gaudí au Maroc qui remonte à 1891, le génial architecte catalan découvre un Maroc magique, mythique et symbolique; il est frappé par quelques éléments caractéristiques de l’esthétique marocaine tels que: le blanc pur ou cassé, la structure cubique des demeures tangéroises de la médina, la lumière azurée ou ocre, les somptueux minarets qui pointent le paysage urbain de la cité du détroit.
Celui qui résume le mieux le magnétisme de Gaudí pour les choses exotiques n’est autre est que son compatriote l’écrivain Juan Goytisolo, qui dans son essai «approximations a Gaudi en Cappadoce» écrit ce qui suit: «L’espace physique et culturel de l’islam le fascinait. Son seul voyage de jeunesse en dehors de l’Espagne n’a pas été à Paris ni même en Italie mais au Maroc. Son inspiration ne fut jamais le style Renaissance ni le style Classique, comme ses illustres compatriotes d’antan l’écrivain Cervantès et le peintre Goya, il cherchait l’Espagne profonde et la trouva dans les strates cachées du substantiel métissage mudéjar».
Au dix-neuvième siècle, en Espagne, l’attrait de l’orient dépasse une simple prédilection pour l’exotisme et revêt une ampleur particulière qui se traduit dans l’histoire et dans la littérature: de la bataille de Wadras au siège de Tétouan en 1860, du rôle stratégique de Tétouan la blanche à l’instauration du protectorat, autant de signes de l’ épanouissement d’ un courant orientaliste qui peut être symbolisé dans les arts par deux œuvres aussi célèbres: Fantasia Arabe de Mariano Fortuny et la Casa Vicens de Gaudi.
Tout architecte aventureux dans le dernier tiers du XIXe siècle, même s’il a voulu secouer le carcan des styles inspirés du passé, a été à un moment ou à un autre de sa carrière attirée par l’atmosphère orientaliste de l’époque. Gaudí, malgré son immense génie, n’échappe pas à cette règle, et est aussi particulièrement sensible à la polychromie de l’Alhambra et à l’architecture méditerranéenne, auxquels il attribue un sens supérieur de la mécanique.
Pour Gaudi: «L’art et la beauté se rencontrent dans la méditerranée, et dans cette contrée du monde que les grandes cultures artistiques: égyptienne, assyrienne, grecque, romaine, espagnole, nord-africaine ont fleuri».
Gaudi entretenait une admiration sans limite pour l’art mudéjar ou mauresque, art remis au goût du jour dans l’Espagne de cette fin du XIX siècle par le peintre orientaliste Mariano Fortuny, comme lui originaire de Reus et auteur de nombreux dessins et aquarelles sur le nord du Maroc lors de la bataille de Tétouan (1860-1862).
Tandis qu’autour de lui on imite cet art mudéjar et son exotisme ornemental, Gaudi fit un voyage à l’Andalousie mauresque et concrètement à l’Alhambra de Grenade, pour se ressourcer et analyser les solutions constructives de ce style, l’organisation de l’espace et la structure de ses monuments, non pour le plagier mais esquisser les qualités dans un besoin renouveau.
Dans le projet qui est à l’origine de ses voyages en Andalousie, il incorpore des éléments du décor hispano-mauresque: construction en brique, décor mural en plâtre sculpté et mosaïques de terre émaillée. L’Alhambra est pour l’architecte l’essence de son jeu de lumière et de couleurs qui s’impose dans le projet franciscain, à l’aide de la polychromie céramique, tant à l’intérieur de l’église que dans les pièces principales de l’édifice.
Le chef-d’œuvre nasride a satisfait le désir d’évasion de Gaudí pour atteindre le lointain et le distinct, il a également trouvé dans le revêtement en céramique de l’Alhambra une variation de formes qui lui a permis de se concentrer sur l’aspect le plus cérébral du dessin et c’est le système où il allait travailler tout au long de sa vie.
De Barcelone, il entreprit plusieurs voyages à Grenade, où il fut envoûté par l’ornementation du palais de l’Alhambra ; Au cours de ses séjours répétés dans la capitale nasride, le maître d’œuvre Gaudí a laissé libre cours à son fantasme d’exotisme et d’évasion. C’est sûrement ici que Gaudí observerait la technique et aussi le dessin géométrique, mais bien sûr en le filtrant à travers sa pensée et sa vision personnelles et avec son incorporation, il marquerait son style pour toujours. «Nous devons considérer, les critères de l’ornementation en fonction de notre époque, de notre société, de l’espace géographique dans lequel elle prend naissance. Cette ornementation doit être simple, basée sur notre raison d’être, il n’est pas question d’imiter un style quelconque, mais de créer un système de lignes et de courbes en harmonie avec les conditions topographiques et climatologiques de l’endroit et c’est cela qui constitue un style» disait Gaudi.
Ses premières œuvres, la Casa Vicens et el Capricho de Comillas témoignent déjà de son goût pour la richesse arabisante de l’Espagne mauresque et de son admiration pour les architectures islamiques (art arabo-musulman et indo-iranien).
Le temple dédié à la mission franciscaine de Tanger, c’est le projet le moins connu de Gaudi mais le plus représentatif de son génie rêveur et visionnaire .il constitue l’un des projets les plus étudiés de l’architecte.il a été cependant relativement oublié ou passé sous silence, pendant un certain temps. Aujourd’hui il jouit d’une actualité indiscutable, tant dans les milieux spécialisés que dans l’admiration étrangère ou internationale. Selon le chercheur japonais Tokutoschi Torii, il constitue l’acte de naissance de l’architecture gaudienne, car c’est ici que l’on trouvera la solution à un grand nombre de problèmes posés par la Sagrada Familia et de l’église Colonia Guell de Santa Coloma de Cervello. Il es aussi à l’origine, indirectement du Parc Guell, la Casa Batllo et la Casa Mila.
Pour des raisons confuses et pas claires encore ce monumental temple resta à l’état du projet. Gaudí a profondément regretté de ne pas avoir réalisé ce temple et il a toujours gardé avec lui le croquis du projet qu’il avait conçu pour Tanger, qu’il avait accroché dans son atelier de la Sagrada Familia et qu’il montrait toujours aux visiteurs.