Tanger, ville de rencontres et de malentendus, de lumières et d’ombres, de mythes et de réalités. Une ville qui fut autrefois le refuge des artistes, des écrivains et des rêveurs. Mais aujourd’hui, la culture à Tanger meurt en silence. Sans résistance. Sans indignation. Comme si ce n’était qu’un dernier souffle dans une ville qui préfère oublier plutôt que lutter. 

L’exécution a été discrète, presque chirurgicale. Le Centre Culturel Ibn Khaldoun, autrefois un espace d’expression et de pensée, a été condamné sans procès. Il n’y a pas eu de manifestations, pas d’éditoriaux enflammés ni de proclamations en sa défense. Seulement un silence épais et honteux. Le lobby culturel, les associations, les écrivains, les artistes… tous piégés dans une léthargie confortable, anesthésiés par l’indifférence ou, pire encore, complices de cet assassinat. 

La rue de la Liberté, ironiquement, est devenue l’avenue des crimes contre la mémoire. D’abord, ce fut l’emblématique Hôtel Minzah, berceau de la bohème internationale de Tanger, qui est passé du statut de symbole de splendeur à celui de monument à l’abandon. Et maintenant, c’est au tour du Centre Culturel Ibn Khaldoun. Le verdict : le transformer en un bazar de tapis et d’artisanat bon marché, un espace sans âme destiné à appâter des touristes naïfs en quête de souvenirs exotiques. D’un centre d’expositions, il est devenu un marché de pacotille pour croisiéristes et groupes guidés. L’ironie est cruelle et grotesque. 

Pendant des années, on a laissé le centre se détériorer, devenir un refuge pour les vagabonds et une décharge à ciel ouvert. Peu à peu, il a été vidé de son contenu, de ses expositions, de ses conférences, de sa vie. Jusqu’à ce que la dégradation soit irréversible. Un crime prémédité, un acte délibéré de destruction culturelle. 

Le plus révoltant, ce n’est pas seulement la perte d’un espace culturel. Le plus grave, c’est le silence. Où sont les Tangérois ? Où est leur colère ? Pendant que la ville s’enorgueillit d’inaugurer de nouveaux espaces emblématiques, son histoire s’efface. Tanger est en train de perdre sa mémoire culturelle, mais elle perd aussi quelque chose de plus profond : son identité. 

Si la culture de Tanger disparaît, si ses rues deviennent de simples décors pour un tourisme à bas coût, si ses espaces historiques sont livrés à la logique d’un commerce sans âme, que restera-t-il ? Tanger est-elle en train de se vider de ses Tangérois ? Ou bien sont-ce les Tangérois qui ont décidé de se vider de Tanger ? 

L’assassinat a eu lieu. La question est : y aura-t-il quelqu’un pour réclamer justice ?