Interview avec l’architecte Younes Diouri

“Œuvrer dans un projet patrimonial pour un architecte c’est littéralement ce qu’on appelle “apporter sa pierre à l’édifice”. C’est une occasion unique de perpétuer l’histoire”

En exclusivité, La Dépêche vous invite à découvrir les détails du projet de restauration de la Palza de Toros de Tanger.
Un projet ambitieux et surtout très beau imaginé par le groupement constitué par les architectes Jaouad Khattabi, Hicham Khattabi et Younes Diouri.

Pouvez-vous nous dire quelques mots sur le groupement d’architectes avec lequel vous avez été sélectionné pour la réhabilitation de la Plaza de Toros? 

Jaouad Khattabi, Hicham Khattabi et moi même (Younes Diouri) sommes profondément attachés à Tanger, son patrimoine et son histoire riche et diverse. C’est avant tout un groupement d’architectes passionnés de leur ville de cœur.

Selon vous, qu’est ce qui vous a permis de vous démarquer parmi les autres projets?  

Probablement notre engagement pour une architecture authentique et respectueuse du bâtiment originel. Il s’agissait de redonner ses lettres de noblesse à un bâtiment déjà chargé d’histoire. Notre proposition est un équilibre entre les éléments architectonique à révéler, souligner et quelques notes contemporaines induites par le nouveau programme, sans toutefois altérer l’esprit du lieu. La toiture en toile était aussi une volonté de compléter l’œuvre par une couverture légère rappelant le drapé rouge des muletas. Une ultime révérence à l’histoire de la tauromachie. Nous sommes ravis que le jury ait été sensible à ces aspects. Cela a été possible car le maître d’ouvrage (Agence pour la Promotion et Développement du Nord) conjointement avec la Wilaya de Tanger ont saisi l’importance de mettre en œuvre un concours transparent et anonyme, dont le jury est composé essentiellement d’architectes.
C’est une nouvelle ère dans le mode d’attribution des marchés dans la région qui augure de la bonne marche dans ce type de projet structurant. C’était avant tout grâce à l’engagement du Conseil Régional de l’Ordre des architectes de Tanger qui collabore avec l’APDN à l’organisation de nouveaux concours pour la réhabilitation et la reconversion d’autres sites historiques de la ville.

Avez-vous l’habitude de travailler ensemble sur des projets de réhabilitation? 

Non, c’est une première fois. Le concours avait pour critère de constituer une équipe de 3 architectes minimum. Mais lors de la manifestation d’intérêt il nous a semblé naturel de rallier nos profils qui s’avèrent très complémentaires pour ce type de programme.
Complémentaire car le cabinet Khattabi a une grande expérience dans les équipements à grande capacité d’accueil avec notamment le stade de Tanger et ses 45 000 places ainsi qu’en réhabilitation avec la cinémathèque de Tanger (Ancien cinéma Rif) et un centre culturel dans la région de Al Hoceima. Notre agence (Younes Diouri Architectes) quant à elle a remporté plusieurs concours sur des sujets de réhabilitation comme l’usine de séchage de Khouribga, un patrimoine industriel construit en 1920 transformé en Musée/FabLab/Bureaux, ou encore une Usine de 15000 m2 à Casablanca dessiné par l’architecte Louis Riou en 1970, véritable chef d’œuvre brutaliste qu’on a reconverti en Retail Park.

Qu’est ce que cela représente pour vous d’œuvrer à la réhabilitation du patrimoine national?

Œuvrer dans un projet patrimonial pour un architecte c’est littéralement ce qu’on appelle “apporter sa pierre à l’édifice”. C’est une occasion unique de perpétuer l’histoire. Cela demande une maîtrise du vocabulaire architectural dont il est question mais aussi beaucoup de retenue pour trouver un espace d’expression et pouvoir s’inviter dans un lieu et le transcender. C’est un exercice particulier qui dépasse largement le seul aspect architectural. Il s’agit souvent d’un imaginaire collectif à préserver et célébrer. Les bâtiments survivent à plusieurs générations et marquent le temps. C’est un lègue pour les décennies et siècles à venir. Cela impose en soi beaucoup d’humilité.

Quels sont les grands challenges de la réhabilitation de ce type d’édifices?

Chaque bâtiment patrimonial est unique et donc les enjeux le sont aussi. Évoluer dans un existant est beaucoup plus complexe que de démarrer sur une page blanche. A chaque bâtiment son défi. Et à chaque approche son lot de challenges. Une réhabilitation puriste requiert un travail de recherche pour coller au maximum à une réalité technique et constructive. Lorsqu’il s’agit de modifier la vocation d’un bâtiment, dans le cas des reconversions, cela nécessite un arbitrage entre ce qui est là et ce qu’on intègre au projet. Le curseur entre la mémoire du lieu et la nécessité programmatique est toujours un véritable exercice d’équilibriste.

Quelles sont les grandes missions du cabinet pour la Plaza de Toros? 

Notre mission va de la conception du bâtiment, ses abords, les différents espaces publics extérieurs, au suivi du chantier. Il s’agit principalement de remettre à niveau les gradins aujourd’hui impraticables pour se conformer aux normes de sécurité actuelles et accueillir 7000 spectateurs. Le défi technique est de préserver la trame structurelle tout en intégrant les nouveaux gradins. Nous serons accompagnés d’un laboratoire et d’un bureau d’études pour identifier les éléments de structure à refondre et renforcer. 

Comment envisagez-vous de concilier l’héritage historique et les innovations inhérentes à sa remise en fonction? 

Nous avons en tête de retrouver l’expression architecturale originelle du bâtiment conçu en 1950 et renouer avec la brique naturelle rouge, typique de l’architecture espagnole de l’époque, et qui a été occultée avec le temps. Au niveau des rez-de-chaussée, nous avons inséré tous les espaces du programme culturel comme le musée de la mémoire du lieu, les ateliers d’artistes, les salles de danse, les salles de formations etc. Dans la continuité de la typologie des arènes qu’on retrouve à travers le monde nous avons intégré une couverture en structure légère dans une réinterprétation contemporaine du vélum romain qui vient couronner le bâtiment et apporter un meilleur confort pour les spectateurs.

Quand est prévu le début des travaux et la fin du chantier? 

Les intervenants de la maîtrise d’œuvre sont en cours de désignation pour un démarrage de chantier au courant de l’année 2021. C’est un chantier qui devrait durer 18 mois.