Chronique de Soukayna Benjelloun

Ce qui s’est passé à Tanger à propos du harcèlement voire de l’agression de la fille portant une mini jupe n’a visiblement pas ébranlé nombre de nos concitoyens. A la lecture de certains commentaires sur les réseaux sociaux notamment en langue arabe, certains même pointeraient du doigt la tenue vestimentaire de la jeune dame jugée provocatrice. Selon leur vision des choses et leur mentalité, très répandue surtout au niveau des quartiers populaires, les hommes de la famille de la victime ou de son entourage, devraient exprimer leur autorité et « virilité », en l’empêchant de sortir avec une telle tenue vestimentaire, qui la réduirait systématiquement à une proie face aux regards malintentionnés. S’appuyant sur l’article 483 du code pénal, dans sa section à propos des attentats aux mœurs, qui stipule que : « Quiconque, par son état de nudité volontaire ou par l’obscénité de ses gestes ou de ses actes, commet un outrage public à la pudeur est puni de l’emprisonnement d’un mois à deux ans et d’une amende de 200 à 500 dirhams. L’outrage est considéré comme public dès que le fait qui le constitue a été commis en présence d’un ou plusieurs témoins involontaires ou mineurs de dix-huit ans, ou dans un lieu accessible aux regards du public. » ces hommes et ses femmes jetteraient donc la balle à la jeune dame provocatrice qui se promènerait avec une mini-jupe dans un pays où l’islam est la religion de l’état, article 3 de la constitution marocaine de 2011.
Dans les sciences sociales, il est établi un lien direct entre le niveau socioprofessionnel et le cadre bâti. Ainsi, les quartiers populaires seraient plus enclins à développer une mentalité phallocratique et patriarcale et à souvent léser les femmes dans leurs libertés individuelles sous couvert de la religion et les discours sur la pudeur…  Au regard d’une lecture macro à vol d’oiseau de la maille de la carte urbanistique du pays, on s’aperçoit rapidement que les quartiers populaires sont très nombreux, ils couvriraient en taille et nombre une grande partie du pays, ce qui ouvre le champ à l’expansion à cette mentalité majoritaire.
Et c’est donc cette mentalité qui serait à l’origine du blocage sociétal à l’encontre des droits des femmes, et qui fait que notre société régresse au lieu de gagner des points sur le plan des libertés individuelles. Pour ne citer que l’article 490 du code pénal marocain qui condamne par de l’emprisonnement « d’un mois à un an, toutes personnes de sexe différent qui, n’étant pas unies par les liens du mariage, ont entre elles des relations sexuelles. » cet article jugé rétrograde par certains activistes des droits de l’homme, ils n’y voient cependant que les relations extra-conjugales, c’est à se demander si les relations entre les personnes du même sexe sont-elles jugées légales ? trêve de plaisanterie !

Pour faire le parallèle avec les sociétés maghrébines, avec qui, nous partageons plusieurs points en commun. Karim Baklouti, tunisien et activiste, membre du parti politique « ettakatol »,  puis celui vainqueur des élections de 2014 “nidaa Tounes” puis du mouvement « tahya Tounes », nous livre le fonds de sa pensée, lui qui vit entre Tunis et Casablanca . Il trouve que la société en Tunisie est bien plus active en matière de défense des droits de la femme et de son émancipation. Les organisations féministes y sont très virulentes et beaucoup d’hommes très engagés dans la préservation des acquis de Bourguiba et leur renforcement, participent à faire vibrer les libertés individuelles qui y sont bien plus avancées. Car, comme il ne manque pas de le mentionner « en Tunisie, la femme a joué un rôle très important dans la période 2011-2013 en particulier lorsque les islamistes ont pris le pouvoir et ont voulu rédiger une constitution rétrograde. Les tunisiennes (et les Tunisiens) sont sortis par dizaines de milliers et ont occupé la place du Bardo refusant une constitution dont la base était la Chariaa ; et elles ont eu gain de cause. En 2014 se sont ces femmes qui ont porté Beji caïd Essebsi à Carthage mettant fin à 3 années noires vécues par les Tunisiens sous la direction des islamistes avec à la clé deux assassinats politiques fort connus (chokri Belaid et Mohamed Brahmi, paix à leurs âmes), et une violence à l’égard de la femme et à la classe intellectuelle sans commune mesure. La femme a joué un rôle très important dans le pays et depuis toujours. Bourguiba a laissé après son départ quelque chose qui ne disparaîtra jamais. Le Tunisien, et excusez-moi d’en parler de cette manière assez chauvine, est un peu différent des autres citoyens des pays Arabes et la femme tunisienne est une tigresse Au Maroc aussi, je connais beaucoup de femmes très libres et de vraies militantes mais elles agissent de façon solo. La société civile est trop timide ! » fin de citation.
La société civile marocaine va-t-elle enfin faire le poids nécessaire face à cette mentalité islamisée à outrance en expansion au Maroc?