Rania Gasmi
@docraniagasmi
C’est l’histoire d’une éponge jaune et carrée qui vit dans un ananas au fond de la mer et qui pratique le métier de cuisinier dans un environnement subaquatique. Bob le protagoniste incarne la figure de l’employé modèle, jamais en opposition avec son supérieur et peu critique des rapports inégalitaires de production. Le dessin animé “Bob l’éponge” a peut-être bercé votre enfance ou celle de votre enfant. Il relate l’expérience des personnages dans la vente, leurs déboires commerciaux, les stratégies de concurrence ainsi que la relation fusionnelle avec le travail, en couleurs, en chant et en bonne humeur.
Mais est-ce normal que ces thèmes s’apparentant à un apprentissage des rouages de l’économie marchande soient embusqués dans des discours dont l’apparence est anodine ? Oui. Car il n’y a pas que Bob qui fait la critique de la société humaine, mais Cendrillon, Simba, Bart Simpson et toute la compagnie le fait. Dans les contes et merveilles de notre enfance, les femmes sont personnifiées comme des princesses dociles, irresponsables et promises à de glorieux mariage. Tandis que les hommes sont représentés comme des guerriers courageux dont l’assurance et la bravoure sont les premières qualités.
Depuis l’apparition du tout premier dessin animé créé par Émile Reynaud en 1892, les productions se multiplient chaque année. Une kyrielle de personnages colorés, d’histoires, de sons, de voix et même de langues font surface sur les
écrans de télévisions. Il y en a pour tous les goûts et surtout pour tous les âges.
Les dessins animés constituent non seulement un excellent moyen de divertissement, mais aussi un outil de découverte du monde, un support idéal d’échanges familiaux et une méthode d’apprentissage implicite et efficace par excellence.
Nous rappelons rarement l’importance de la digitalisation dans la socialisation de chaque individu. Dans un mémoire présenté pour l’obtention du diplôme de Master à la faculté des sciences de l’éducation de Rabat en septembre 2020, j’ai tenu à mettre en exergue le calibre de l’impact des dessins animés sur le développement psychologique et intellectuel de l’enfant. Ainsi que sur sa socialisation et l’instauration de son système de valeur dès un bas âge. Je vous explique :
La socialisation d’un enfant se poursuit selon des étapes et a pour finalité d’intégrer l’enfant dans la société. Elle est donc l’ensemble des mécanismes et processus qui permettent à l’individu d’intérioriser et d’acquérir les normes et valeurs de son groupe social, de la société et ou de la communauté dans laquelle il vit ou grandit. Il ne faut pas confondre éducation et socialisation, car l’éducation correspond à des activités explicites de socialisation, généralement menées ou inculquées par les parents ou l’école.
Les différentes instances de socialisation contribuent également à fabriquer
l’identité féminine ou masculine. Le terme de « genre » est ainsi préféré car il montre que l’identité liée au sexe est une construction sociale, plus qu’une nature biologique. Le fait que les hommes et les femmes n’intériorisent pas les mêmes normes et valeurs depuis la naissance ou le début de la socialisation
s’ensuit des conséquences en matière d’inégalités économiques et sociales. Et
ceci, est expliqué au plus jeune avec des contes de fées et de princesses, des histoires d’héroïsme et de victoire, parce que rester célibataire pour une femme, ou un homme se laissant aller par ses larmes, est une « défaite ».
Ces normes et valeurs regroupent des valeurs universelles comme la notion du bien et du mal et le respect d’autrui. Elles permettent à l’enfant d’apprendre les façons de se comporter et de construire sa personnalité sociale. En effet,
l’identité d’un individu se forme lorsqu’il adhère à un rôle social car il s’identifie à ce rôle.
Comme la famille, la socialisation par le biais des dessins animés, contribue essentiellement dans la transmission du langage, des codes sociaux les plus élémentaires comme apprendre à manger et à communiquer avec ses paires,
des principes et des valeurs permettant de covivre dans une société donnée, en plus de la transmission du patrimoine économique et culturel et des liens affectifs.
Les dessins animés aussi illustratifs que les contes et les comptines, sont plus efficaces pour peindre l’image d’un personnage représentatif du parfait exemple, auquel peut s’identifier l’enfant qui par la suite développera sa personnalité, adoptera ses valeurs par besoin d’imiter un héros qu’il idolâtre. Le dessin d’un système de valeurs profondément inculqués dans l’être de ce petit, à jamais, se fait alors sur un canevas vierge et qui prendra toutes ses couleurs et perspectives tout au long d’une vie.
En fin de compte, nous avons tous une Alice ou un Chapelier qui somnolent en nous, sinon les deux !