Dans une Tanger reconnue historiquement comme ville des Arts, qui actuellement et par mille raisons s’active et s’accélère pour reconquérir cette notoriété tant éperdue. Dans une Tanger hélas où persévérait malheureusement durant ces dernières décennies des controverses importunes, défavorables pour ses plasticiens locaux qui se sont éclipsés forcément de sa scène culturelle… Selkyart Galerie représentée par Madame Nahid M’farej, renverse la tendance, s’aligne sur la voie du changement, rendant ainsi aux artistes locaux et issus de la ville leur notoriété celée en organisant du 16 juillet 2021 aux 31 du même mois une exposition évènement de l’été 2021 intitulée «cinq artistes, cinq visions».
Il s’agit D’Abdeslam Khamal plasticien émérite et ancien professeur formateur au CPR de Tanger section Arts plastiques, qui lie la création plastique à la mémoire invisible des idées. D’Ahmed Azouz minutieux peintre et ancien professeur à la section Technique des Arts plastique à Tanger, qui prône par son style une esthétique plus évocatrice que représentative. De Mustapha Belkadi, artiste conteur des scènes populaire à travers un langage pictural très émotionnel, où la satire et parfois la caricature sont de mise. De Mohalhachmi peintre chevronné et ancien professeur des Arts plastique, qui jalonne entre la fantaisie galopante de l’instant et la sagesse du métier. Et moi-même, Abderrafie Gueddali, ancien professeur de la didactique de l’enseignement des arts plastiques Au CPR de Tanger et écoplasticien chercheur, passionné par les matériaux de récupération et pour la quête de l’insolite où à chacune de mes expositions j’essaie de prouver que la création artistique ne peut être dépendante d’un modèle stable et reconnu.
Bien que nos visions artistique et nos styles insinuent une divergence de concept et d’esthétisme, on ne peut que conjecturer l’émission d’un mutualisme concordant qui nous unit et concède à notre exposition constituée d’un ensemble d’œuvres répondant à la polarité des tendances modernes et contemporaines, une affinité profonde et une réussite flamboyante. Tout de même, je signale que nous sommes tous issus du même cursus de formation artistique et pédagogique dépendant de la section des arts appliqués et aussi nous avons tous exercé le métier de l’enseignement des arts plastiques.
Cette exposition que nous la prescrivons comme une riposte à l’exclusion forcée que subi le plasticien local par certains professionnels des arts plastiques de la ville, est pour nous et pour tous les épris de la création plastique, un signe de présence et est une conjoncture favorable de rencontre et de jouissance que nous partageons avec le public tangérois après le confinement imposé par la pandémie du Covid 19.
Plus concentrée sur l’exhibition de nos impulsions novatrices dans un espace autre que celui de l’intimité de nos ateliers, comme dans toute exposition collective, le public peut discerner à travers les œuvres exposées une tolérance à la dissemblance stylistique et un va-et-vient entre la conformité du métier et l’extravagance de la recherche et de l’intuition innovatrice. Or, chacun de nous se circonscrit par sa propre approche plastique et sa vision artistique qui lui accorde sa singularité et l’émergence de son propre style.
Azzouz Ahmed repeint «La vague nocturne», qu’il avait réalisée en 2002. Pour le peintre, l’initiative de repeindre le même thème, à nos jours, est un rappel, une reprise de conscience et une remise en scène du fléau de l’immigration clandestine qui ne cesse de ronger notre société et nos vies, où drame et tragédie sont devenus monnaie courante, au point où nous sommes devenus presque indifférents envers cette interminable mésaventure… L’intention de l’artiste est donc, de réinterpréter, d’exprimer ou «d’illustrer plastiquement» ce phénomène quasi inévitable, qui s’impose durement et durablement… et qui sévit encore malheureusement, sous l’étiquette de l’émigration clandestine… Et, l’histoire continue sous nos yeux, à nous livrer ses «clichés» malheureux…, où nous sommes devenus des spectateurs malgré nous.
Le style d’Azzouz allègue une manière d’écriture plastique qui n’est que la conformation préméditée ou non préméditée d’un concept imagé, qui prend apparence dans l’espace de la toile en combinant avec des intentions purement artistiques graphisme, texture, couleur et formes. Le peintre persévère dans la quête de l’original à découvrir les accords des différents éléments qui constituent l’œuvre. La couleur et les principes techniques et notionnels arborent un dynamisme à ses représentations à la fois chimériques et réalistes. Pour Azzouz, l’expression plastique est synonyme de la création des signes graphiques qui ne sont pas de lors de l’aspect représentatif du sujet, mais celui d’une force métaphorique de la réalité.
Belkadi Mustapha peintre cosmopolite, natif de Tétouan, qui vit à Agadir, mais que Tanger pour lui est sa ville d’adoption puisque toute sa famille s’y trouve. Le concept plastique de l’artiste s’octroie une perception artistique qui le pousse inlassablement à peindre des situations drôles liées aux quotidiens des Marocains. Le peintre est tenté par leurs attitudes, et par le paradoxe tradition et modernité que connaît notre société actuelle. Belkadi, dit, « j’observe et je relève les anachronismes que je rencontre et je les partage avec le public à travers mes tableaux… en sollicitant sa complicité et sa dérision». Le peintre joue des perspectives et des normes académiques pour donner libre cours à son interprétation des faits observés. Les mains sujet de prédilection, très courant dans sa peinture dont leur forme est délibérément exagérée. Elles témoignent du respect pour le travail manuel si riche des métiers traditionnels en voie de disparition …L’artiste s’intéresse aux mains puisque sur le plan esthétique leurs formes sont très captivantes et si riches du point de vue plastique : la gestuelle des mains, leurs structures, leurs volumétries et leurs textures offrent une multitude de possibilités plastiques sans parler de leur contenus symboliques et leur rôle dans la transmission des émotions.
La peinture en dégradé et en zones marquées constitue la matrice du style de Belkadi. L’artiste sait convertir avec dextérité le caractère faussement ludique de la couleur et de la forme exagérée, en en faisant sa propre écriture plastique à part entière. Ses sujets sont soigneusement articulés, çà et là, pour faire parler l’ineffable. Sa palette est elle-même riche et séduisante, développant encore plus la finesse et l’enthousiasme de ses œuvres.
Abdeslam Khamal ce plasticien natif de Tanger, depuis quelques années, il avait senti le besoin d’abandonner une orientation de recherches plastiques qui commençait pour lui de s’essouffler. Ainsi, comme il dit «plusieurs pistes d’expérimentation picturale m’ont été dictées par la volonté de rompre avec les compositions all-over et la «pleine page». Les peintures qu’il présente dans cette exposition sont le résultat de l’une de ces pistes de recherche et, bien qu’elles rompent avec les formulations plastiques précédentes, elles n’en gardent pas moins certains invariants dont la tâche, le geste/ligne, les rapports de proportion, de plein et de vide, le graphisme … qui leur confèrent un caractère scriptural.
Des taches monochromes donc, verticales, tracées gestuellement et qui n’obéissent qu’au seul jeu de formes et de nuances claires et foncées du jaune. Le graphisme intervient pour brouiller toute lecture littérale. Chassez-le…, il revient par la fenêtre! Ce penchant à s’inscrire dans une mémoire plastique particulière est invincible !
Dès qu’on considère l’œuvre de Khamal, on comprend qu’on a affaire à un peintre intellectuel éprouvé d’enfreindre le lisible pour acquiescer l’invisible, un artiste expérimenté prêt à jumeler sa réflexion cérébrale à ses caprices artistiques de l’instant, un peintre exercé disposé à s’hypothéquer dans la scène artistique pour révéler sa vision du monde ainsi que ses préoccupations plastiques et ses émois les plus intimes.
Pour les non avertis, l’œuvre de Khamal n’est pas aisée à saisir ni à déterminer sa tendance et son mode d’expression. Elle est à la fois surréaliste et symbolique, minimaliste et expressionniste, instinctive et spéculée… Son contenu recelé est figuratif, par contre son apparence visible est le plus souvent abstraite. L’artiste, sans se préoccuper des origines endogènes propres à la peinture et au dessin, use de ses facultés expressives et de son savoir-faire pratique et intellectuel pour révéler sa toute-puissance des idées telle qu’il la conçoit, telle qu’il la vit et telle qu’elle est en lui.
Mouh Elhachimi Mohamed peintre éprouvé, il est né pour être Artiste. Précis dans ses choix de ses sujets, constant dans sa démarche. Passionné de l’esprit et du fantasme et de l’onirique, il veille assidûment à produire des œuvres truffées de codes personnels. L’artiste déclare que lorsqu’il se trouve dans l’intimité de son atelier, il procure à sa liberté et son imagination créative le droit de résister aux difficultés et aux contraintes…qu’elles soient du côté des matériaux…des supportes… ou des styles et techniques. Il pense que l’opération créative libère l’artiste et le rend prescripteur de ses initiatives. Elhachimi prône une conception esthétique très spécifique à sa pensée. Elle illustre l’état du rêve du fabuleux et du fantasme. En dédaignant le régulier et les clichés émis par la raison, il glorifie l’irrationnel, l’extravagant et l’inspiration onirique. Délivré de la morale qui nous contraigne de temps à autre d’être créatif et de la lucidité académique qui nous empêche de procéder librement. L’artiste procède ces sujets plastiques librement dans des situations de méditation et de prospection profonde en faisant loyauté uniquement à sa pensée d’artiste et ses caprices de peintre.
Quant à moi Gueddali Abderrafie, matiériste de vocation, et plasticien chercheur, je me sens constamment conspirer par des nouvelles approches sur la matière et le matériau, qui désormais, m’intriguent à guetter l’imprévu et l’inédit et allouent à mes actions créatrices plus de caractères, de persévérance et d’originalité.
Fixer mon regard de plasticien sur les stigmates de l’usure et du méfait du temps et de l’atmosphère sur le mur comme sujet qui invoque du quotidien, c’est octroyer aux traces du paysage urbain le droit de s’exprimer plastiquement leurs existences et de signer de nouvelles alliances avec le citoyen. Le « mur : empreinte et traces du quotidien », sujet d’inspiration, me concède à me tenir à la matière et à la technique comme éléments essentiels et inhérents à la production de l’œuvre. Celle-ci, par le biais de la recherche et de l’exploration, devient pour moi le champ approprié pour une délicate entente, entre le langage spécifique disciplinaire et les impressions impulsives du jour, entre les exigences du métier et l’éclosion de la sensibilité, entre les références conceptuelles qui nous lient à l’art et les engagements socioculturels qui nous impliquent dans les tourments du quotidien.
Le mur dans mes recherches se concentre sur le concept et non sur la description d’une scène. Sous le contrôle incessant de mon instinct d’artiste et de ma déduction d’intellect, je me rallie suivant l’appétit créatif du moment à une expression plastique libre et osée, où toutes les techniques et toutes les matières de récupération qui puissent satisfaire mes exigences de plasticien, participent à l’éclosion de pièces originales et insolites qui interpellent le sens et favorisent le dialogue par leur seule présence. Ainsi, le marouflage de la toile et des fragments de toile de jute, le collage du carton et de débris de métal, les enduits, les pigments tiennent place dans mes recherches et contribuent efficacement à donner à mon œuvre une empreinte plastique à la fois brute et affinée.
Le spectateur éclairé et non éclairé, est convié à voguer librement à travers nos toiles. Sa perception ne doit être que l’expression de ses propres émotions, soumises simplement à l’effet des modulations transcrites par nos traces. En conséquence l’intéressé, n’est pas obligé de connaître ce qui est représenté dans nos œuvres et de se limiter à reconstituer leurs composantes iconiques (s’il y en a) et extra-iconiques pour en déduire un sujet quelconque ou une anecdote, mais il lui suffit de sentir les impressions et les effets qu’elles communiquent pour atteindre lui-même l’effet sublime de la jouissance et de l’émerveillement, sensation déterminante pour la transcendance de l’âme et l’équilibre de l’essence humaine.
Tant que nous existons, nous persistons à faire de l’Art…c’est notre vocation. C’est notre destinée…
Nos vives gratitudes à Madame Nahid M’Farej, et plein succès à l’espace Selkyart.
Gueddali Abderrafie