Pour beaucoup de dirigeants, les performances d’une entreprise se résument encore à ses résultats comptables, exprimés dans le bilan et le compte de produits et charges CPC. Pourtant, dès les années 30, l’économiste américain Irwing Fisher a démontré l’intérêt d’une approche privilégiant l’inventaire des flux de trésorerie (en anglais, «cash-flow»), autrement dit des entrées et des sorties d’argent de l’entreprise. En effet, l’analyse comptable traditionnelle ne suffit pas à donner une vision exacte et complète de la situation d’une société à un moment donné. Prenons le cas de deux entreprises affichant le même bénéfice comptable : l’une doit renouveler son parc de machines tous les trois ans, l’autre, tous les cinq ans. Equivalentes sur le plan du résultat, elles ne présenteront cependant pas le même profil en termes de cash-flow : la première, plus consommatrice de cash, possède par conséquent une valeur inférieure.

En outre, diverses charges apparaissant comme telles en comptabilité ne donnent pas lieu à des sorties d’argent effectives ; c’est le cas notamment de la dotation aux amortissements. Dans l’approche par le cash-flow, seul le décaissement réel d’argent au moment de l’investissement sera retenu. Sont également pris en compte les flux de trésorerie momentanément immobilisés et qui constituent le besoin en fonds de roulement de l’entreprise : stocks et crédit-client. Autre différence avec l’approche comptable : la valorisation des conséquences fiscales, favorables ou défavorables, de certaines opérations. Ainsi une vente d’actifs dégageant une plus-value comptable entraînera-t-elle un flux négatif sur le plan fiscal par l’augmentation de l’imposition de l’entreprise.

Le cash-flow est essentiellement utilisé comme outil d’évaluation des entreprises par les investisseurs. Le flux de trésorerie est en effet un indicateur important de la capacité à verser des dividendes futurs, « La concurrence est particulièrement vive sur les marchés de capitaux, et l’entreprise qui lève des fonds doit faire en sorte d’optimiser ses flux de trésorerie actuels et futurs pour séduire les investisseurs potentiels ». Pour maximiser leur cash-flow, les entreprises peuvent notamment chercher à réduire l’encours du crédit-client, minimiser les stocks et faire la chasse à l’argent immobilisé. Elles peuvent alors présenter aux investisseurs des prévisions de flux de trésorerie sur cinq à dix ans et calculer leur « valeur actuelle nette » à partir de ces cash-flows prévisionnels et d’un taux d’actualisation déterminé sur les marchés financiers.

Les opérations d’OPA (offres publiques d’achat) ont largement été fondées sur des calculs de cette nature : les investisseurs pariaient sur le fait qu’un changement d’équipe managériale permettrait d’augmenter le cash-flow de leurs proies. Dès lors, les managers ont davantage intégré le point de vue des marchés, et l’approche par les flux de trésorerie font de nombreux émules. Mais séduire les investisseurs et les futurs actionnaires n’est pas la seule utilité du cash-flow. Certains dirigeants cherchent à maximiser le solde des flux de trésorerie pour ne pas avoir à faire appel aux marchés en constituant une réserve de sécurité pour autofinancer les investissements futurs. D’autres l’utilisent même comme instrument de pouvoir face à leurs actionnaires afin de garder la mainmise sur l’avenir de l’entreprise et investir comme bon leur semble ou ne pas investir : certaines entreprises ont, en effet, des flux de trésorerie très importants, dépassant largement leurs besoins d’investissement. Elles ressemblent alors à des banques détentrices d’énormes dépôts, en l’occurrence les dépôts de leurs actionnaires. Par son approche prospective, le cash-flow représente donc un outil complémentaire de l’analyse comptable pour saisir la réalité d’une entreprise.

Mohamed LAHYANI

Expert-comptable diplômé à Paris.
Commissaire aux comptes. Fondateur du cabinet Audit & Analyse Tanger www.audit-ana- lyse.com

Ancien responsable de mission dans un cabinet international d’audit à Paris.
Responsable de consolidation dans un groupe américain. Auteur de nombreux ouvrages : Evaluation des sociétés – fu- sion – consolidation, compta- bilité approfondie, Compta- bilité des sociétés, Finance d’entreprise, Audit et contrôle interne, Audit scal, Audit comptable et nancier, L’audit pour tous, Normes IFRS, Bien gérer les subventions, Pour le bon usage de l’argent public.