Par Dr. Ali GHOUDANE – Docteur chercheur en Sociologie
Cf. mon blogspot : kroniquesociale.blogspot.com/

‘’L’histoire sociale enseigne qu’il n’y a pas de politique sociale sans un mouvement social capable de l’imposer.’’1

Le discours prononcé par Sa Majesté le Roi Mohammed VI à l’ouverture de la session parlementaire du 10 octobre 2025 s’inscrit dans un moment charnière pour le Maroc. Entre attentes sociales pressantes et volonté de stabilité, il trace les contours d’un projet national à la fois explicite et subtil. Derrière les mots mesurés, se dessinent des signaux forts sur la gouvernance, la justice sociale et la cohésion du Royaume.

Dans un contexte de fortes tensions socio-économiques et de mobilisation croissante de la jeunesse, le discours royal réaffirme les fondements du pacte social marocain: équité, solidarité et développement inclusif. Les inégalités territoriales, la lenteur administrative et la nécessité de renforcer la confiance entre citoyens et institutions forment la toile de fond de ce message d’État.
Le discours de S.M. Le Roi Mohammed VI positionne la justice sociale et la lutte contre les inégalités territoriales comme des orientations durables, non simplement conjoncturelles. Il y a appelé à une nouvelle alliance nationale fondée sur la justice sociale, la dignité et la participation de tous à la construction du Maroc de demain.
Le Souverain insiste également sur la cohérence entre les grands chantiers nationaux (infrastructures, projets structurants) et les programmes sociaux (éducation, santé, services publics). Il ne doit pas y avoir d’antagonisme entre eux. Cette orientation traduit la volonté de réconcilier l’efficacité économique avec la cohésion sociale, fondement de la stabilité du pays.
En effet, notre pays vit une période où s’expriment, avec force et sincérité, les aspirations profondes de sa jeunesse. Ces voix, venues de toutes les régions, traduisent une attente légitime de dignité, de transparence et de justice sociale. Le Souverain a tenu à souligner que ces appels ne traduisent pas un rejet, mais une volonté de participer activement à la construction du Maroc de demain.
La dynamique actuelle montre que la contestation, loin d’être une menace, devient un espace de négociation collective. La Génération Z2 n’exige pas la rupture : elle exige la pertinence. Le discours royal et les mesures budgétaires lui répondent sur ce terrain, en cherchant à convertir la colère en engagement, et la critique en collaboration.
Le discours suppose une temporalité longue: les réformes doivent mûrir. Mais dans une société connectée et impatiente, la confiance devient un capital fragile. La parole royale, pour rester crédible, doit s’accompagner d’actes visibles, d’une proximité tangible avec le vécu des citoyens.
Aussi et en réponse aux principales revendications de la Jeunesse, le gouvernement annonce une hausse du budget au titre de l’année 2026 à raison de 140 MMDH, soit +22% pour l’éducation et +18% pour la santé. Mais l’on émet des doutes quant à la gestion du budget alloué à ces deux secteurs, compte tenu de la corruption qui règne dans le pays. Il y a à craindre que cet argent soit dilapidé, comme ce fut le cas auparavant avec d’autres budgets !
Soulignons également la nouvelle initiative visant à faciliter l’accès des jeunes de moins de 35 ans à la vie politique pour les prochaines élections grâce à une aide directe couvrant 75 % des frais de campagne, et ce, sans nécessiter l’aval d’un parti politique!
C’est dire que le Souverain est à l’écoute de la jeunesse, en tant que moteur du changement: car écouter, c’est gouverner — et c’est même l’art de gouverner!
Il est vrai que d’autres revendications demeurent en instance. Le Roi, à l’écoute de son peuple, a tracé la voie; la balle est désormais dans le camp de l’exécutif (le Gouvernement qui ne devrait pas décevoir encore une fois les citoyens !) et des partenaires sociaux, appelés à concrétiser sur le terrain les directives royales et à se montrer à la hauteur de la confiance que le Souverain a placée en eux.
Le Roi insiste sur la célérité de l’action publique et sur la responsabilité des institutions. Ce rappel traduit une exigence: celle d’un État efficace, mesurable, et capable de produire des résultats concrets.
Sans les nommer directement, le Souverain pointe les lenteurs bureaucratiques et la culture de l’inertie, tout en soulignant la nécessité de rompre avec les habitudes administratives, le mode “routine” des services publics, les résistances au changement, ainsi que le manque de synergie entre les différents niveaux de gouvernance (services centraux, ministères, régions et communes).
Le discours dénonce également l’écart persistant entre les paroles et directives royales et leur traduction par l’exécutif, d’où la nécessité (nécessité impérative !) de lier la responsabilité à la reddition des comptes à tous les niveaux de la gestion de la chose publique.
Toutefois, le discours insiste sur la rigueur et la rapidité d’exécution qui dissimule une critique implicite de la lenteur des réformes. Le message est clair: les retards ne sont plus tolérables, et la confiance de la population dépend désormais des résultats concrets.
À un an de la fin du mandat législatif, le discours prend des allures de bilan moral. Le Roi rappelle que le service de la nation doit primer sur les calculs électoraux, soulignant ainsi le rôle supérieur de la monarchie comme garant du cap national.
Sociologiquement, le Souverain agit ici comme un médiateur entre l’État et la société. Son discours transforme les tensions en défis, les frustrations en espoir collectif. Il replace les revendications citoyennes dans un cadre institutionnel maîtrisé, évitant ainsi leur dérive vers la contestation ouverte.
Ce discours illustre aussi un moment clé du Maroc contemporain: un pays en quête d’équilibre entre modernisation institutionnelle et maintien du lien social, entre exigence d’efficacité et besoin de sens. Une parole d’État qui ne se contente plus d’énoncer — mais qui invite, subtilement, à agir. Une parole qui invite l’exécutif à agir, à la traduire sur le terrain en actes répondant aux attentes des citoyens.
En évoquant la gouvernance, la transparence et la justice territoriale, le Roi redessine le visage d’un État moderne et protecteur, à la fois technocratique et humaniste. Cette image vise à renouveler la légitimité du pouvoir à travers la performance et l’écoute.
En conclusion, le discours royal du 10 octobre 2025 marque une étape dans la recomposition du lien entre l’État et la société. Il articule l’écoute et l’autorité, la réforme et la stabilité, le court terme social et le temps long du développement. Les indications dessinent la feuille de route, les insinuations rappellent les urgences morales et politiques.

1-Contre-feux N°2, Pierre Bourdieu, éd. Raisons d’agir, 2001 (ISBN 2-912107-13-X), chap. «Pour un movement social européen», p. 16.
2-Cf. Mon article “La génération Z : Du numérique à la rue”, publié dans LA DÉPÊCHE DU NORD N° 1320 du 4-10-2025, Rubrique Société, page 8 :
https://ladepeche24.com/la-generation-z-du-numerique-a-la-rue/