Au cours des deux dernières décennies, un groupe d’artistes espagnols contemporains de diverses écoles d’art a fait surface, qui ont vu Tanger comme un havre esthétique fertile et un foyer pour leurs tendances artistiques. C’est un processus artistique initié par les pionniers depuis le début du 19ème siècle et même avant avec les dessins immortels de Delacroix, puis Josep Tapiró et Matisse et d’autres, atteignant le début du 21ème siècle avec une génération de jeunes et vétérans qui ont marqué l’histoire artistique et scénique contemporaine de cette charmante ville.
Dans cet article, nous discuterons -en traitant la représentation de la ville de Tanger dans la peinture espagnole contemporaine- d’une grande artiste chevronnée appartenant à l’école de l’art réaliste moderne espagnole: l’artiste plasticienne espagnole contemporaine Consuelo Hernández, qui a consacré une grande partie de son travail à cette ville, immortalisant son nom parmi ceux de nombreux artistes qui ont aimé la ville et sont devenus une partie de son histoire artistique et culturelle en général. L’artiste appartient à la même génération artistique qui reflète la beauté de l’école réaliste espagnole, mais avec sa propre touche et sa façon de voir les choses, ainsi que les thèmes qu’elle a aimé à Tanger et incarnée plastiquement. Le choix de l’artiste parmi des dizaines à ses justifications artistiques, historiques et techniques, d’une part, c’est un choix qui tire sa légitimité du volume de l’offre et du nombre d’expositions et de peintures réalisées, et de l’ampleur de l’interaction entre l’artiste et la ville de Tanger d’autre part, sans oublier que l’artiste s’était déjà installée dans la ville depuis longtemps et avait expérimenté ses parcours, sa culture et son interaction avec ses habitants, les résultats artistiques étaient impressionnants et spontanés. La raison la plus importante qui nous a poussé à étudier cette artiste c’est qu’elle est de retour à Tanger pour une nouvelle exposition organisée à la galerie Cervantès de Tanger à partir du début du mois d’octobre après avoir déjà exposé dans la même galerie il y a des années.

Bref aperçu de la biographie de l’artiste Consuelo Hernández

Il n’est pas encore temps pour moi de m’arrêter et de dire : “C’est ce que j’ai toujours recherché”, j’ai peur que ce jour vienne, car ce n’est que ma recherche constante de contenu et de techniques, ainsi que ma passion pour le dessin, qui me maintiennent en forme d’un point de vue artistique. (Citation attribuée à l’artiste “Consuelo” extraite d’un entretien avec elle sur le site web SingulArt).
L’artiste Consuelo Hernández considère que l’art qui s’est trouvé et s’est installé en elle depuis sa plus tendre enfance était en soi un grand privilège. Elle a été éduquée entre les bras d’une famille passionnée d’art, qui savait depuis l’âge de sept ans sa passion et son amour envers la peinture et l’art. Son travail depuis l’enfance n’est rien d’autre qu’un reflet du monde qui l’entoure, à commencer par le paysage rural et les gens qui l’entourent, jusqu’aux villes qu’elle a visité ou habité.
L’artiste plasticienne “Consuelo” est considérée comme l’une des artistes contemporaines espagnoles qui travaillent dans la peinture figurative, dont les critiques d’art la classent dans le courant réaliste espagnol contemporain. Elle est d’origine de la commune de Tornavacas, dans le département de Cáceres, dans la région d’Extremadura. Dans son enfance et son adolescence, elle a combiné des études secondaires avec des études de teinture et de peinture dans sa ville jusqu’à ce qu’elle obtienne à 22 ans une licence en Langue et Philologie Hispanique de l’Université de Salamanque, où elle a alterné entre l’enseignement de l’espagnol et la peinture.
Sa première exposition plastique personnelle a eu lieu en 1979 dans sa ville natale, où ses œuvres montrent alors une nette influence des pionniers de l’école impressionniste française, tels que Monet, Renoir et Cézanne, une influence qu’elle laisser derrière soi pour s’immerger pleinement dans le réalisme pictural et parfois la poésie, comme le confirment de nombreux parmi les critiques qui suivent son travail, tels que Marío Antolín, Aníbal Núñez, José María Bermejo, José Marín Medina…, et bien d’autres. Elle se concentre dans ses thèmes picturaux sur les personnes et les êtres, les éléments de son environnement quotidien ainsi les mondes que l’artiste a créé en déduisant la réalité.
Au cours de ses six années de résidence à Tanger entre 1997 et 2003, dont elle été professeur de Littérature au sein de l’institut Severo Ochoa, ses sujets de peintures ont été inspirés par l’architecture en ruine de l’ère internationale de la ville pendant la période du protectorat espagnol dans le nord du Maroc et l’occupation espagnole de Tanger, en particulier le groupe qu’elle a consacré au théâtre historique Cervantès intitulé : “Printemps, été, automne et hiver au théâtre Cervantès de Tanger”, une exposition dans laquelle Consuelo Hernandez a fait le tour des salles du même Institut Cervantès dans les ville de Tanger, Rabat, Casablanca, Fès et Tétouan en 2012. Ses œuvres ont également été présentées dans des foires internationales d’art à Chicago et Hong Kong, Singapour, Paris, La Haye et Madrid et dans des festivals internationaux, ainsi qu’une sélection de peintures présentées dans le cadre du festival “Present’Art” de l’art contemporain, qui ont été exposées à la Bibliothèque nationale de “Shanghai Pudong” et au CEIBS (Forum d’investissement artistique) à Shanghai en Chine. Ses expositions internationales se sont poursuivies en 2013 au salon “Bridge” à Pékin et “Shenzhen” en Chine ainsi qu’au salon “Gallery M” à Vienne, en Autriche…
Lors du séjour de l’artiste à Tanger, elle rencontre et se lie d’amitié avec des écrivains, poètes, comédiens, artistes et intellectuels parmi les plus belles élites tangéroises, comme Mohamed Choukri, -qui lui a dit un jour: «je veux immortaliser notre amitié par l’art et la littérature»-, dont une de ses toiles orne la 5e éditions en arabe de son roman international «Temps des erreurs» et lui distingue aussi en hommage deux portraits personnel après sa mort.
Ce sont des années qui ont laissé de profondes empreintes professionnelles et personnelles dans l’identité et la personnalité de l’artiste, et ont fait l’objet de nombreux écrits et publications liés aux œuvres de cette étape importante. L’artiste n’a jamais coupé ses liaisons avec la ville, car elle l’a visitée de temps en temps et à de nombreuses occasions professionnelles liées à des expositions, des réunions, des séminaires culturels ou personnels, des visites d’amitié et de tourisme, où elle a résidé à l’hôtel “Rembrandt” dans le centre-ville et l’a utilisé comme point de départ pour de nouvelles visites d’exploration.
En raison de notre amitié, j’ai eu plusieurs rencontre avec elle dans le but de visiter certaines des monuments qui caractérisent la ville et la ramènent à l’ère internationale, dont la dernière a eu lieu en février de l’année dernière 2020, quelques jours avant le déclenchement de l’épidémie de Covid 19, où son objectif était de mettre la lumière à nouveau sur l’un des beaux point de repère de Tanger connus par les Tangérois comme “plaza de toro”. Nous avons donc fait une visite de reconnaissance et avons été capable d’entrer dans le bâtiment et de prendre suffisamment de photos de tous les détails que notre artiste a utilisé pour la réalisation d’une magnifique toile plus tard. Le 27 septembre 2021, “Consuelo” nous rend visite à nouveau à l’occasion de la mise en place de son exposition au sein de la galerie Cervantès à Tanger qui sera inaugurée le 1er octobre, intitulée «Tanger, retrato inacabado – Tanger, portrait inachevé», qui coïncide avec le commencement des travaux de restauration du théâtre Cervantès qui témoigne l’histoire internationale de Tanger, en particulier la présence de l’architecture espagnole dans la ville.

Lecture sémiologique analytique des œuvres de Consuelo Hernandez relatifs à la ville de Tanger

Dans le long parcours artistique de Consuelo Hernandez, les six années de son séjour à Tanger (1997-2003) s’imposent comme partie intégrante de ce courant créatif distingué, une étape où les sujets de ses peintures s’inspirent de la diversité de l’architecture qui caractérise la ville, en particulier ceux liés à la scène internationale de Tanger que la ville a vécu entre 1923 et 1956, en particulier ses œuvres dédiées au grand monument historique et culturel «Théâtre Cervantès», dont elle a consacrée une série portant des titres symboliques indiquant les stations de l’année ou en intégrant des figures allégoriques insérées dans l’espace du théâtre comme une sorte de reconnaissance de sa beauté sublime, intitulés comme exemple: «Une nuit au théâtre Cervantès à Tanger» et la collection de peintures «Printemps, été, Automne et Hiver au Théâtre de Cervantès» et «Barbara Hutton au Grand Théâtre de Cervantès», dont certaines ont été achevées à Tanger et d’autres à Madrid. Elle s’inspire encore de cet édifice jusqu’à la fin de Ces dernières années, en 2017, elle peint une belle toile dans laquelle elle s’incarne elle-même en réalisant son autoportrait parmi les éléments de sa toile dont le bâtiment du théâtre apparaît en arrière-plan.
Beaucoup de ses dessins expriment l’état d’abandon, de destruction et de vandalisme dans lequel le théâtre a été plongé dans des années de négligence et d’oubli. Pour elle c’est une Icône historique actuelle ainsi du beau passé de Tanger. Elle faisait passer ses messages cryptés à travers des graphiques qui évoquent la réalité vécue tout en évoquant un avenir de rêve et un avenir meilleur.
Récemment, son appel et celui de nombreuses associations civiles ont été répondus, afin que cet édifice historique bénéficie enfin d’un souffle de liberté et de réhabilitation en signant un accord historique entre le Maroc et l’Espagne, selon lequel cette dernière accorde au Maroc la souveraineté sur le théâtre en échange de garantir la restauration du bâtiment dans le plein respect de sa forme architecturale et de la nature des activités culturelles qui seront présentées à l’avenir dans ses salles et sur sa scène. Cela prouve que l’artiste se concentre sur les bâtiments archéologiques, historiques, Nostalgique et culturels qui remontent à l’époque de la ville internationale de Tanger. Elle a déjà peint plusieurs bâtiments qui ont été vandalisés ou négligés dans la ville, comme le «Cinéma Alcazar», la place historique du «souk dakhel – zoko chico», avenue Pasteur dite «Le Boulevard», et une villa à la zone de Marchan qui était auparavant une maison des hauts diplomates, et enfin la place des Taureaux, connue «Plaza de Toro». Ce qui est étrange dans cette histoire c’est que beaucoup de ces bâtiments peints par notre artiste ont répondu à des demandes de restauration et de réhabilitation récentes grâce à des accords de partenariat entre le Maroc et l’Espagne ou d’autres intervenants, en particulier le Théâtre Cervantès et le Cinéma Alcazar et place des taureaux.
Le contemplateur dans les œuvres de Consuelo ressent une sorte de romantisme onirique dans ses dessins, qui, malgré leur quasi hyperréalisme, ne ressemblent pas à la réalité ordinaire dans laquelle nous vivons. Pour être entraîné dans l’espace du tableau, nous évoquons ici, par exemple, mais sans s’y limiter, sa toile «Nuit au théâtre Cervantès», où elle s’est concentré sur le bâtiment historique, en lui donnant une grande magnificence et en choisissant l’angle de vue complet qui met pleinement en évidence les principales caractéristiques avec laquelle on peut profiter de la beauté des décors architecturaux d’une part, mais pour mettre en évidence la face cachée du lieu poétique sous la forme d’un lieu stratégique et romantique d’autre part, en utilisant la qualité du dégradé bleu nuit qu’on distingue au ciel dans un beau contraste avec la couleur orange-marron distinctive du bâtiment du théâtre, et pour briser ce contraste, elle a utilisé le dégradé d’un vert foncé remontant à un vert clair, tout en respectant la direction de la source d’éclairage, qui est la lune dans cette scène. La façade, qui apparaît plus rayonnante et résonnante dans cette toile, met l’accent sur la mise en évidence de la charge esthétique de l’architecture, et comme Consuelo a toujours dit: «Les façades des bâtiments sont parmi les signes les plus expressifs des effets-traces laissés par le temps sans intervention humaine, et il n’y a pas d’image plus expressive que Celles qui mettent en valeur les façades brisées, les fragments qui sont tombés au sol, les briques sales et cassées…, à travers ces images des ruines, où la colleur brune cramoisi et bleu cobalt apparaissent comme des couleurs grisâtres-décolorées et érodées par le temps et le mépris, ce qui nous reflète comme résultat une peinture merveilleuse et saisissante”.
L’artiste “Consuelo” nous envoie un message par tout ça : c’est que la beauté des ruines découle de la contemplation artistique tout en parcourant les rues et les ruelles de Tanger et en pensant à ce que les autres ne peuvent pas comprendre -avec leurs yeux et même avec un appareil photographique- et sans avoir besoin d’étudier l’art et s’approfondir en esthétique. Son véritable rôle est d’envoyer des messages cachés et tangibles à travers l’influence de l’œuvres d’art dans des moules esthétiques prêts, acceptables par le récepteur tout en affectant sa conscience et provoquant ses sentiments, ainsi Consuelo restaure le portrait inachevée de Tanger.

BRAHIM MECHTAT
Artiste Placticien et critique d’art