La fraude comptable est devenue, ces dernières années, un fléau d’envergure internationale. Elle a très souvent entraîné d’importantes pertes financières pour les investisseurs, des démissions de dirigeants, des pertes d’emplois pour les salariés, et parfois même les faillites des sociétés concernées.

Définition de la fraude comptable :
La fraude comptable consiste à présenter de manière intentionnelle des comptes ou une information financière ne représentant pas la réalité économique de l’entreprise. La fraude comptable peut porter sur:
•les comptes statutaires ou les comptes consolidés.
•les données de gestion internes à l’entreprise (reporting, tableaux de bord).
•les données financières communiquées aux tiers (communication financière).
Ce type de fraude se traduit par la manipulation des informations chiffrées dans le but de tromper le lecteur sur la situation patrimoniale et/ou la performance économique de l’entreprise. La fraude comptable est moins fréquente que les détournements dans la mesure où elle est nécessairement le fait de personnes haut placées dans la hiérarchie de l’entreprise (dirigeants, gouvernement d’entreprise). Les motivations de ce type d’agissement sont par ailleurs plus complexes que dans le cas des détournements. Elles peuvent résulter d’une volonté d’enrichissement personnel, par exemple si la rémunération des dirigeants est indexée sur les performances économiques (bonus liés aux résultats ou au chiffre d’affaires) ou capitalistiques (dans le cadre de la revente éventuelle d’actions ou de parts sociales) de l’entreprise.
Toutefois, dans ce type de schéma, d’autres motivations peuvent conduire le fraudeur à altérer volontairement les comptes de l’entreprise. En améliorant artificiellement la situation financière, il peut chercher par exemple à rassurer les actionnaires, à être conforté dans son poste en raison de ses bons résultats ou à maintenir les concours bancaires. Plus rarement, le fraudeur adoptera une démarche inverse visant à détériorer le résultat. La motivation sera alors essentiellement d’ordre fiscal.
Il convient de noter que les fraudes comptables sont en général les plus coûteuses et peuvent, dans certains cas, conduire à la faillite de l’entreprise. En effet, dans la mesure où les états financiers constituent le premier indicateur de performance d’une entité économique, leur manipulation peut retarder l’adoption de mesures correctrices. Parfois, la révélation de la fraude intervient trop tard et c’est alors la pérennité de l’entreprise qui est compromise.

Qualification de la fraude comptable :
*Présentation des comptes inexacts désigne le fait de publier ou présenter aux actionnaires, même en l’absence de toute distribution de dividendes, des comptes annuels ne donnant pas, pour chaque exercice, une image fidèle du résultat des opérations de l’exercice, de la situation financière et du patrimoine, à l’expiration de cette période, en vue de dissimuler la véritable situation de la société.
*Distribution de dividendes fictifs désigne le fait d’opérer entre les actionnaires la répartition de dividendes fictifs, en l’absence d’inventaire, ou au moyen d’inventaires frauduleux.
*Faux et usages de faux désigne toute altération frauduleuse de la vérité, de nature à causer un préjudice et accomplie par quelque moyen que ce soit, dans un écrit ou tout autre support d’expression de la pensée qui a pour objet ou qui peut avoir pour effet d’établir la preuve d’un droit ou d’un fait ayant des conséquences juridiques.
*Vol est la soustraction frauduleuse de la chose d’autrui.
*Abus de confiance le fait par une personne de détourner, au préjudice d’autrui, des fonds, des valeurs ou un bien quelconque qui lui ont été remis et qu’elle a acceptés à charge de les rendre, de les représenter ou d’en faire un usage déterminé.
*Escroquerie désigne le fait, soit par l’usage d’un faux nom ou d’une fausse qualité, soit par l’abus d’une qualité vraie, soit par l’emploi de manœuvres frauduleuses, de tromper une personne physique ou morale et de la déterminer ainsi, à son préjudice ou au préjudice d’un tiers, à remettre des fonds, des valeurs ou un bien quelconque, à fournir un service ou à consentir un acte opérant obligation ou décharge.

La plupart des fraudes s’étalent sur une longue durée
Les fraudes isolées sont relativement rares. La plupart du temps, les actes frauduleux sont commis de façon répétée sur une durée pouvant aller jusqu’à plusieurs années. Le schéma classique se réalise en trois phases:
Phase 1 : Le test
Le fraudeur découvre une opportunité de malversation. Dans un premier temps, il va tester le mode opératoire en l’appliquant sur des montants faibles afin de valider l’absence de contrôle.
Phase 2 : La mise en exploitation
Encouragé par l’absence de sanction, le fraudeur va répéter son mode opératoire sur des montants plus élevés mais néanmoins suffisamment faibles pour ne pas être repérés.
Phase 3 : Le faux pas
Le fraudeur est confronté à un besoin exceptionnel (pression sur le résultat par exemple dans le cas d’états financiers frauduleux ou besoin d’argent dans le cas de détournement de fonds). Pour y répondre, il décide de renouveler le schéma exploité précédemment mais cette fois-ci pour des montants beaucoup plus élevés. C’est en général à ce moment seulement que la fraude peut être détectée en raison du dépassement des seuils d’activation des contrôles. La plupart du temps malheureusement, l’alarme est donnée très tard, et les actes qui ont pu être réalisés au cours de cette phase sont de loin les plus dommageables pour l’entreprise.
Selon certaines études, la durée médiane des fraudes commises est comprise entre dix-sept mois (pour les détournements de caisse) et trente mois (pour les falsifications de chèques et les manipulations portant sur les états financiers).
La capacité à détecter les fraudes suppose une connaissance solide de ses modes opératoires. C’est pourquoi nous avons jugé utile de présenter dans cette partie les principaux schémas de fraudes observés dans la pratique.
Concernant la fraude comptable, retenons qu’il existe globalement cinq grandes catégories de procédés:
• les majorations artificielles de produits ;
• les dissimulations de charges ;
• les dissimulations de dettes et des engagements hors bilan ;
• les constatations d’actifs fictifs ;
• la déconsolidation de certaines pertes ou de certains risques.
Les modes opératoires liés à la dissipation d’actifs reposent pour leur part sur les procédés suivants :
•l’enregistrement d’une charge fictive permettant de justifier d’un décaissement frauduleux ;
•le détournement d’une partie des produits encaissés ;
• l’apurement frauduleux des passifs à forte ancienneté ;
•le détournement des marchandises ou matières premières détenues en stock.

L’INVESTIGATION AU CŒUR DU PROGRAMME ANTI-FRAUDE
QU’EST-CE QU’UNE MISSION D’INVESTIGATION ?
Une mission d’investigation consiste à intervenir dans une entreprise en cas de fraude avérée ou de soupçons de fraude. Les objectifs poursuivis lors d’une mission d’investigation sont les suivants :
•confirmer ou infirmer les soupçons existants ;
•reconstituer les schémas d’opérations frauduleuses ;
•collecter des preuves en vue d’éventuelles poursuites judiciaires
• évaluer les impacts financiers ;
•identifier le cas échéant les acteurs potentiellement responsables.

Investigations mises en œuvre par les équipes d’audit interne de l’entreprise
Lorsque la taille de l’entreprise le permet, des équipes spécialement dédiées à la surveillance du respect des procédures comptables et opérationnelles sont constituées pour diligenter tout au long de l’année des contrôles spécifiques au sein des différentes filiales et entités. Les départements d’audit interne ont pris une grande importance dans l’organigramme des groupes. De manière générale, ces équipes ont un rôle préventif qui consiste à contrôler la bonne application des procédures. Il est néanmoins de plus en plus fréquent de voir ces mêmes équipes mobilisées en cas de soupçon de fraudes afin de procéder à de véritables investigations.
Encore convient-il de s’assurer que les auditeurs déployés dans ce type de situation bénéficient bien de l’expérience et de la formation appropriées. En effet, la détection des fraudes ne constitue pas une compétence prioritaire de l’auditeur interne: «l’auditeur interne doit posséder des connaissances suffisantes pour identifier les indices d’une fraude, mais il n’est pas censé posséder l’expertise d’une personne dont la responsabilité première est la détection et l’investigation des fraudes».
On a vu cependant dans certaines banques se constituer des équipes de type «commando» très spécialisées au sein des départements de l’audit interne et qui interviennent en priorité sur les problèmes de fraudes.

Investigations mises en œuvre par des prestataires externes
Lorsque l’entreprise est dépourvue d’équipes d’audit interne, ou lorsque ces dernières ne disposent pas d’une compétence spécifique en matière d’investigation, les entreprises peuvent faire appel à des spécialistes externes, qui vont soit intervenir seuls, soit assister les équipes d’audit interne dans le cadre de leurs travaux.
A ma connaissance, il n’existe pas aujourd’hui de diplôme spécifique reconnu au Maroc en matière d’investigation financière. Tout le monde peut donc a priori s’improviser spécialiste en investigation. Compte tenu du caractère technique et souvent très sensible des problématiques concernées, il est donc impératif de choisir le prestataire avec le maximum de précautions.
Pour ce faire, il convient d’obtenir l’ensemble des garanties de la part du professionnel en matière de compétences, d’expérience et de respect des règles déontologiques. S’agissant de problématiques comptables et financières, le recours à un expert-comptable spécialisé inscrit au tableau de l’Ordre constitue une option sécurisée puisque les interventions de ce dernier sont toujours encadrées par un dispositif normatif et déontologique particulièrement strict.

Conclusion
La fraude touche toutes les entreprises quelles que soient leur taille, leur secteur d’activité ou leur pays.
Si les statistiques divergent sur le montant moyen de pertes, toutes s’accordent pour considérer le phénomène comme très préoccupant pour l’économie dans son ensemble. Plus que le coût direct, les répercussions indirectes sont les plus nuisibles pour les entreprises : baisse du cours de bourse, dégradation des relations commerciales, de l’image de marque et de la réputation, perte de motivation du personnel, etc.
Les fraudes sont multiples et protéiformes : concernant les dirigeants, il s’agit d’une part des fraudes sur les états financiers qui consistent en une présentation frauduleuses des données chiffrées relatives à la situation de l’entreprise, d’autre part des manœuvres de dissipation de l’actif social. Les données statistiques montrent que les dirigeants fraudeurs sont en grande majorité des individus présentant un profil éthique normal mais qui se trouvent dans une configuration qui les conduit à commettre des malversations. Ces circonstances correspondent à différents facteurs tels que l’appât du gain, la pression des marchés ou encore l’existence de failles dans le système de contrôle.
Les entreprises cherchent à renforcer leurs procédures de contrôles en intégrant notamment dans leurs dispositifs internes des systèmes d’alertes, afin de faciliter la communication à tous les échelons et de renforcer la prise de conscience générale face à ce problème.
Lors de soupçon de fraude ou de fraudes avérées, il n’est pas rare de voir les entreprises faire appel à des Experts-comptables ou à des équipes d’audit interne en amont de toute action judiciaire afin de diligenter une investigation. Les objectifs poursuivis lors d’une telle intervention sont alors de confirmer ou d’infirmer les soupçons existants, de reconstituer les schémas d’opérations frauduleuses, de collecter des preuves en vue d’éventuelles poursuites judiciaires, d’évaluer les impacts financiers et le cas échéant d’identifier les acteurs potentiellement responsables.
L’intérêt d’une telle mission d’investigation est d’abord de mettre un terme à la fraude en mettant le responsable hors d’état de nuire.
Il s’agit ensuite de collecter des éléments de preuves afin d’obtenir réparation du préjudice subi en engageant la responsabilité directe du dirigeant ou en recherchant les éventuelles responsabilités indirectes (complices, receleurs, etc.). Enfin, l’objectif est d’empêcher que de telles fraudes ne se reproduisent en mettant en application les recommandations formulées à l’issue de l’intervention.
Le constat ainsi dressé ouvre donc la voie à la possibilité d’une spécialisation de certains experts dans le domaine particulier de la lutte anti-fraude. Cette compétence est d’ailleurs déjà reconnue aux États-Unis comme une discipline à part entière avec le diplôme d’«analyste des fraudes».
Peut-être, dans un futur proche, le Maroc évoluera-t-il à son tour dans le sens d’une reconnaissance institutionnelle de ces compétences spécifiques.

Mohamed LAHYANI
Expert-comptable & Commissaire aux comptes diplômé d’Etat à Paris.
Membre de l’Ordre des Experts-comptables au Maroc et en France.
Fondateur du cabinet Audit & Analyse Tanger
www.audit-analyse.com
Président de la commission Etudes Fiscales & Juridiques du Conseil Régional de l’Ordre des Experts-comptables de Tanger Tétouan Al-Hoceima.
Auteur de nombreux ouvrages en: fiscalité, audit, finance, comptabilité, évaluation des sociétés, consolidation, contrôle de gestion…