Suspendues à un cadre métallique et installées sur un convoyeur, des pièces automobiles baignent, lot après lot, dans des bains jaunâtres. Ces composants d’amortisseurs et de portières en sortent noircis, protégés contre la corrosion. Dans l’usine de traitement de surface Electroplast du groupe Galvanoplast, à Tanger, deux lignes automatisées, hautes de quatre mètres et longues de vingt, donnent le rythme. La lumière artificielle fait oublier le ciel immaculé du Maroc. Des opérateurs en blouse bleue inspectent la finition du traitement par cataphorèse, qui dépose de la peinture grâce à une réaction électrochimique.

Le groupe franc-comtois Galvanoplast est arrivé en septembre 2018 au Maroc pour se rapprocher de ses clients, tels l’italien Magneti Marelli et les français GMD et Snop, fournisseurs de Renault et PSA. “Snop nous a demandé de le rejoindre, car il n’y avait pas de traitement de surface dans la région“, rappelle le directeur du site, Ahmed Boulben, dans une odeur de produit vaisselle. Avant son arrivée, Electroplast signe avec le fabricant d’amortisseurs Magneti Marelli et s’installe sur un site voisin, relié par un petit train pour faciliter le transport des pièces.

L’usine, deux fois plus grande que celle prévue à l’origine, est construite au cœur de la Tanger Automotive City (TAC), une zone industrielle de 178 hectares nichée au milieu des collines, à l’écart de la ville, et encerclée par des éoliennes. Créée pour attirer Renault au Maroc, cette bulle douanière dédiée à l’export vers l’Afrique et l’Europe a ouvert en 2012, la même année que l’usine du constructeur et compte aujourd’hui 30 000 employés. De chaque côté de ses grandes allées rectilignes bétonnées, des usines flambant neuves. Réservée à l’industrie automobile, la TAC est située à sept kilomètres du donneur d’ordres et à proximité du port de Tanger Med. Face à son succès, elle va s’agrandir et passer à 518 hectares. Une croissance tirée par l’augmentation des cadences de Renault, de 400 000 à 500 000 véhicules par an, et l’installation de PSA avec sa propre zone franche à Kenitra, à 200 kilomètres au sud, en 2019. Résultat : Electroplast discute d’une extension pour soutenir son activité, qui devrait doubler et atteindre 5 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2022.

PLUS QUE DES AVANTAGES DOUANIERS

Treize heures, de l’autre côté de la ville. Comme tous les jours aux heures de rotation des trois-huit, une cohorte de minibus encombre l’accès à la Tanger Free Zone (TFZ). Contrairement à la TAC, la TFZ est implantée à la lisière de la ville et de son aéroport. Créée en 1999, c’est la première zone franche du Maroc. Ouverte à différentes filières – l’automobile, l’aéronautique mais aussi le textile –, elle accueille plus de 500 entreprises et 70 000 employés sur 450 hectares. La zone est pleine. Les vans Mercedes roulent au pas, transportant des hommes et des femmes venus des abords de Tanger, travaillant 44 heures par semaine pour un salaire minimum inférieur à 260 euros mensuels. Des bas salaires qui font aussi l’attractivité du pays. Ceinte par des barrières métalliques, la zone présente un accès contrôlé. Seuls les véhicules habilités y pénètrent. Les salariés, comme les visiteurs, entrent sur présentation d’une pièce d’identité.

Tajeddine Bennis, lui, passe le barrage d’un simple signe de tête. Patron de Snop au Maroc, cette figure locale a participé à la création des zones franches, au sein d’une agence publique, avant d’intégrer l’entreprise de découpage-emboutissage. “C’est moi qui ai vendu son terrain au groupe“, s’amuse-t-il. Pas de coupure d’électricité, pas d’inondation, un traitement collectif des eaux industrielles… Les arguments d’une implantation dans les zones franches dépassent les avantages douaniers. “Le plus attrayant, ce sont les synergies entre sous-traitants, argue le Marocain. Notre fournisseur d’acier est à 500 mètres, celui qui récupère nos chutes est notre voisin. L’arrivée d’Electroplast, en nous permettant de proposer des pièces déjà traitées, nous a donné accès à de nouveaux marchés et à un contrat de 12 millions d’euros. C’est comme ça pour toutes les entreprises venues à Tanger.” Dans son bureau, une photo de lui et du ministre de l’Industrie lors de l’inauguration du site, en 2011. Depuis, l’usine qui fournit Renault et PSA en pièces métalliques a été agrandie trois fois et accueille 900 employés, contre 150 à l’origine. Elle réalise 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, quatre fois plus qu’à ses débuts.

Aujourd’hui, c’est Frédéric Milan qui a rendez-vous avec le ministre de l’Industrie. L’homme pressé parcourt à grandes enjambées les allées de l’usine d’emboutissage métallique du groupe GMD, qu’il dirige. Quatre presses automatiques, de 400 à 1 100 tonnes de pression, battent un rythme infernal. “Nous n’avons plus de place ici, s’égosille-t-il. Un nouveau bâtiment deux fois plus grand est en construction, il fera 20 000 mètres carrés et pourra être agrandi de 8 000 mètres carrés.” Le site, qui compte 400 employés et réalise 35 millions d’euros de chiffre d’affaires, a gagné un nouveau marché pour la Renault Logan, le plus important du Maroc. Depuis, l’activité déborde du bâtiment. Littéralement. “Entre les étapes d’emboutissage et d’assemblage, nous sommes obligés de sortir les pièces dans un stock tampon, à deux kilomètres“, déplore-t-il.

BIENTÔT UN TROISIÈME CONSTRUCTEUR ?

Installé à une centaine de mètres de son concurrent Snop, GMD va déménager, profitant de l’extension de la TAC pour se rapprocher de ses partenaires. “Il n’y a aucune différence pratique ou financière entre TFZ et TAC, précise Frédéric Milan. Mais la proximité avec Renault et Electroplast, qui traite certaines de nos pièces, va nous permettre d’optimiser notre logistique.” Une stratégie de rapprochement que tous les sous-traitants ne partagent pas. L’usine de moulage et d’assemblage Savoy Moulage, par exemple, profite uniquement des zones franches, du port et des faibles coûts de main-d’œuvre pour fournir ses clients internationaux. Dont les usines espagnoles et françaises de Renault.

Dans un espace de coworking aux parois vitrées, David Hervé a fait de l’attractivité de la région son commerce. Après deux ans de volontariat international en entreprise pour accompagner l’implantation des industriels de la Fédération française des industries mécaniques (FIM) en Afrique, il a monté sa propre activité, DHC Afrique. Boulevard d’Anfa, dans le centre de Casablanca, il aide des PME et ETI françaises à s’installer sur le continent. D’ailleurs, le jeune homme travaille à l’arrivée d’une entreprise française de plusieurs milliards d’euros de chiffre d’affaires.

Le Maroc est devenu le premier producteur automobile du continent devant l’Afrique du Sud, rappelle David Hervé. Entre 2014 et 2020, l’écosystème câblage a doublé et celui du groupe motopropulseur est passé de 1 400 à 10 000 employés.” Cette position dominante pourrait être confirmée par l’arrivée d’un troisième constructeur automobile. “L’installation d’un nouveau donneur d’ordres développerait encore davantage la supply chain, souligne-t-il. Elle permettrait, par exemple, d’installer la fabrication de tubes métalliques.” La rumeur, qui court depuis quelque temps, évoque le nom de Toyota. Nouvelle preuve, s’il en fallait, que le dynamisme de ce territoire est parti pour durer.