Malika Benjaid Laroussi est l’architecte responsable de la restauration de l’ancienne prison de la Kasbah de Tanger qui sera convertie en Musée. Un énorme chantier qui a beaucoup intéressé l’opinion publique locale voulant protéger ce bâtiment qui reste un des plus importants patrimoines historiques de la ville.
Dans cette interview, elle explique les étapes et procédures de ce grand projet.

Quelles sont les étapes par lesquelles passe l’étude et l’analyse d’un bâtiment historique avant de démarrer l’opération de sa restauration?

Les médinas sont des tissus urbains anciens qui subissent, aujourd’hui, le poids d’un passé séculaire, les conséquences des dernières décennies en matière d’aménagement et d’urbanisation ainsi que les contraintes du présent.
Les projets de restauration et de réhabilitation sont suivis par un comité central de suivi des médinas. Ce comité travail avec un règlement de construction particulier:
Le règlement de construction des Médinas, à vocation organisationnelle et réglementaire, est conçu en tant que document de sauvegarde et de mise en valeur d’une cité historique qui définit le cadre général de son aménagement, son développement et sa sauvegarde en fixant les dispositions générales de toutes les Médinas du Maroc.
Au niveau régional les travaux sont suivis par la commission du patrimoine et de veille qui valide les études et suit les chantiers.
Cette commission du patrimoine et de veille, présidée par la wilaya ou la province, se compose de profils spécialisés, représentant:
La wilaya ou province ou préfecture (Architecte), L’Agence Urbaine (Architecte); la Commune (Architecte); la Direction Régionale ou provinciale de la culture; l’Inspection des Monuments Historiques et des sites; le Département concerné; le Conseil Régional des Architectes (Architecte spécialisé dans le patrimoine) ; des spécialistes selon le cas: Archéologue, Historien, Maallem…etc.
Cette commission, dont les membres sont nommés par le Wali ou le Gouverneur, a pour mission de vérifier la conformité des projets présentés, sur la base des cahiers des prescriptions spécifiques précisant les travaux envisagés, les matériaux employés, signé par l’Architecte auteur du projet et le maître d’ouvrage, à l’effet d’assurer:
La préservation du cachet authentique de la Médina.
La restitution de l’état originel des volumes.
La protection du patrimoine culturel immobilier.
La conservation de la cohérence du paysage urbain.
L’authenticité dans le choix et la mise en œuvre des matériaux.
Toute sorte d’intervention doit faire l’objet d’un suivi périodique par ladite commission qui veillera à la conformité des travaux envisagés conformément à la réglementation en vigueur.
Le travail est effectué sur la base d’un référentiel architecturale, ainsi que la charte de la médina de Tanger disponible à l’agence urbaine

Les étapes d’étude et d’analyse
1/Suite à une couverture topographique et à la photogrammétrie de l’édifice réalisés par un IGT, l’architecte réalise des relevés de l’état existant et une analyse socio-spatiale.
2/L’architecte établit un diagnostic avec l’élaboration des options de restauration:
Cette prestation consiste en l’élaboration d’un rapport de diagnostic permettant une évaluation précise et exhaustive de l’état actuel de l’édifice en rapport avec les différents corps d’états existants comprenant :
1. Un relevé détaillé de toutes les dégradations : illustrations des anomalies constatées accompagnées de rapport photographique et situation dans le bâtiment (état actuel, chronologie, altérations, polychromie).
2. Un diagnostic des désordres et détermination des causes éventuelles.
3. La proposition des recommandations et solutions techniques à mettre en œuvre pour la remise en état et restauration de la structure, de l’étanchéité et des lots secondaires existants en respectant les techniques de restauration des monuments et édifices historiques, ainsi que la précision des études de reconnaissances complémentaires à effectuer et la conception technique sommaire des lots techniques à intégrer.

2-Elaboration du projet de restauration par l’architecte : projet d’exécution.
L’ingénieur du bureau d’étude à son tour présentera le projet d’exécution sur la base des documents architecturaux et techniques, après approbation du rapport de diagnostic par le maître d’ouvrage, et en parfaite collaboration avec l’architecte et le bureau de contrôle technique.
3/ Préparation du dossier d’appel d’offres et consultation des entreprises (DCE) en collaboration avec le BET.

Pour parler du cas de l’ancienne prison de la Casbah, dont vous dirigez le projet de réaménagement, vous dites que vos sources sont des archives et d’anciennes photos de ce bâtiment datant de très longtemps. Résumez nous ces preuves et jusqu’à quelles limites vous les respectez dans votre projet?

L’étude et l’analyse du projet de réhabilitation de l’ancienne prison de la kasbah a suivi la procédure de validation de la commission. Après plusieurs modifications et ajustements des techniques de restauration, ainsi qu’une adaptation au niveau sécuritaire, le chantier a pu commencer.
Le but du projet est la réhabilitation de l’existant, donc le respect des matériaux utilisés dans les limites de la sécurité, en cela nous avons fortifié le deuxième étage qui a été ajouté tardivement par une structure en béton armé identique à l’existant. La partie inférieure a été restaurée à l’identique par un renforcement en briques pleines et en pierres liées entre elles par un mortier à la chaux.
La meilleure preuve que je puisse présenter est l’étude basée sur des images historiques de notre bâtiment, ainsi que l’analyse établie.

Nonobstant, il existe certes certaines irrégularités dans cet énorme chantier et le cas des canalisations qui décorent le mur de la terrasse de Bab Marsa en sont une preuve concrète. Ma question est de savoir qui contrôle ces différents chantiers et comment on laisse faire jusqu’à obtenir ces anomalies?

Les enjeux de la réhabilitation urbaine sont nombreux, entre autres: les réparations, l’adaptation aux technologies modernes (assainissement, accessibilité, éclairage moins nuisant pollution lumineuse, sécurité intégrée…), les mesures d’adaptation à des dysfonctionnements, etc.
Il faut penser aussi à la mise en sécurité de la circulation publique, la mise aux normes légales ou de confort, l’intégration de dispositifs de sécurité dans les édifices publics présentant des dangers pour la santé des occupants. Principalement la mise ou remise en valeur de l’histoire, d’un quartier, d’une ville, par rénovation ou amélioration de son patrimoine architectural .
Le développement urbain, que l’on cherche à faire progresser d’une manière équilibrée devant les problèmes actuels d’environnement (sociale, économique… image de proximité), pour le tourisme notamment, est une opération qui doit garder un caractère exceptionnel.
Les travaux sont suivis quotidiennement par les architectes chargés du projet, les ingénieurs des bureaux d’étude, des bureaux de contrôle, des laboratoires et une commission composée des différentes administrations locales. Effectivement vu l’importance et l’ampleur du chantier des erreurs sont commises par les entreprises mais vite rattrapées par les spécialistes concernés par ce projet très sensible. Sans oublier que plusieurs réunions et rencontres de concertation sont organisées par la wilaya avec les habitants de la médina pour discuter des travaux en cours.

– Propos recueillis par Abdeslam REDDAM