Sa passion pour les chants a fait d’elle une grande soprano. Son amour pour Al Ala n’est plus à découvrir et puis il y a toute une vie de bonheur et de cohabitation entre differentes communautés qui ont fait l’histoire de Tanger.
Vivons un excellent moment de partage avec Mounira Zouak. Une femme exceptionnelle.
Vous êtes d’origine Tétouanaise et vous avez vécu toute votre vie à Tanger. C’est une double richesse culturelle qui a sûrement forgé votre personnalité. Qu’est ce qu’on a de plus quand on est à la fois de Tétouan et de Tanger ?
Mon père est né à Tétouan ainsi que toute sa famille. Nous sommes tétouanais depuis plusieurs générations. Moi, je suis née à Tanger, plus précisément, à Dar Baroud. Ma mère était fassie. Vous parlez d’une double richesse, je dirais même une triple richesse, Tétouan, Fès et Tanger. Tétouan et Fès, c’est la vie sociale et culturelle par excellence, Tanger, c’est la vie cosmopolite, un mélange de cultures, de races, de religions. Maman était artiste, peintre, sculpteur et cordon bleu. Je vous dirais, sans fausse modestie, que j’ai beaucoup hérité de maman, surtout en peinture et cuisine. J’ai écrit depuis plus de 40 ans un petit recueil des recettes de cuisine de Mamma. Je pense le publier inchaallah très prochainement. J’ai eu le plaisir de traduire un livre d’art, écrit en français à l’espagnol. J’ai puisé dans chacune de ces trois villes ce qui me plaît le plus.
Comment était la vie sociale à Tanger quand il y avait plusieurs communautés cohabitant ensemble ? Avez-vous gardé des anecdotes de vos voisins, du lycée par exemple ?
Depuis mon enfance, nous avons toujours eu comme amis et voisins des marocains, des espagnols, des français, des hindous. Les religions se côtoyaient dans une ambiance très amicale. Pour les fêtes des musulmans, nous partagions nos gâteaux avec nos amis des autres religions, pour les fêtes juives, nous recevions leurs gâteaux et plats, et pour les chrétiens pareil. J’ai des amis des trois religions monothéistes, des bouddhistes et des athées, mes amis sont mes amis, peu m’importe leur religion.
Vous êtes une grande artiste, mais peu de gens le savent aujourd’hui. Comment avez-vous entamé votre carrière de Soprano et quelles en sont les principales étapes ?
Depuis les classes primaires, j’ai toujours fait partie des chorales, j’avais l’oreille musicale et j’aimais chanter. A l’âge de 13 ans, j’ai entamé la carrière de solfège et de piano. En 1962 j’ai obtenu mon Diplôme de Solfège et en 1966 celui de Piano. Je suis diplômée du Conservatorio Profesional de Música y Declamación de Tetuán (section espagnole). Ma passion pour le chant m’a poussée à former partie de plusieurs chorales. Avec la chorale « A Cœur Joie », j’ai représenté Tanger en 1962 lors d’une rencontre de chorales venues de plusieurs pays d’Europe. Nous étions 650 choristes et nous avons chanté à Rabat, Casablanca et Marrakech. Mais la meilleure chorale que je n’oublierai jamais est celle dirigée par un prêtre franciscain, Pedro Cerecero, « Los Amigos de la Música », à Tanger, où il m’a dirigé et accompagné au piano pendant 15 ans. Elle réunissait 16 nationalités ! Un jour, le Père Pedro me nomma « première voix » soprano au sein de notre chorale. Puis, il me proposa de me détacher du groupe et chanter en soliste aussi, c’est-à-dire seule accompagnée par lui-même au piano. Je m’entraînais en choriste et en soliste. J’ai eu l’occasion d’offrir des concerts de chant en soliste à Tanger, Tétouan, Larache et Algeciras. A Algeciras, ce fut un honneur pour moi de chanter sous 3 drapeaux, espagnol, andalous et marocain. Un autre concert que je ne peux oublier, celui offert à l’Association de Fraternité pour les Handicapés Physiques dont je suis membre. Et puis un jour, en 1995, le prêtre a quitté les ordres et le Maroc et je n’ai pas trouvé qui puisse le remplacer. Depuis, je n’ai plus chanté qu’à de rares occasions.
Avez-vous gardé des enregistrements de vos concerts ?
Oui, mais ce sont des enregistrements d’il y a 26/27 ans, pas extraordinaires, sans lumières, sans sono, gravés en général par des amis, mais c’est un bon souvenir pour moi … Heureusement que j’en garde des photos aussi.
Et puis il y a Al Ala, votre amour si spécial. Vous êtes aussi très active dans les associations qui défendent et protègent la musique andalouse. Pourquoi ce coup de foudre si spécial à cet art ?
Aaaaah Al-Ala ! Cette musique appelée aussi musique andalouse, il faut s’y mettre et l’apprendre depuis le jeune âge, ce qui n’a pas été mon cas. Moi, Al-Ala, je ne l’écoutais que lors des fêtes de mariage à Tétouan, et puis je n’y prêtais pas attention, étant donné que j’ai l’oreille occidentale, comme on dit. Il y a 15 ans, un ami m’a invité à l’accompagner pour écouter de la musique Al-Ala à une association. Ce fut le coup de foudre ! Voir des musiciens jouer de leurs instruments et chanter devant moi in vivo, je m’y suis attachée très fort. Et comme vous le savez, à Tanger, il y a beaucoup d’associations d’Al-Ala, tous des amis qui m’invitent et je suis ravie. Malheureusement, je ne m’y connais pas, sauf que je me permets de chantonner à voix basse quelques morceaux connus. Que n’aurai-je donné pour connaître cette merveilleuse musique ! Mais croyez-moi, Al-Ala me court dans les veines.
Vous avez vécu une partie de l’ère internationale et surtout ce Tanger des années 60 et 70. Les Cafés Madame Porte et la Española, le Théâtre Cervantes, les grandes salles de cinéma et une ville très propre et bien organisée. Idem d’ailleurs pour Tétouan. Que regrettez-vous de ces deux villes aujourd’hui ?
Bien avant Madame Porte et La Española, j’avais 7ans, 9 ans, j’allais avec mon père à Souk Dakhel, on s’asseyait au Café Fuentes où une dame espagnole, Doña Eva Gonzalez, jouait du piano. Je l’admirais. Elle me donnait souvent des bonbons et je l’aimais beaucoup. Ironie du sort, 30 plus tard, elle devint mon professeur de chant ! Madame Porte et La Española à Tanger, Las Campanas et El Buen Gusto à Tétouan, des années 60 et 70 n’étaient fréquentées que par des personnes très chic, aussi bien hommes que femmes. Les femmes passaient chez le coiffeur et mettaient leurs plus belles toilettes et leurs fourrures pour y aller. Le Gran Teatro Cervantes, j’y suis allée très souvent, soit avec mes parents, soit avec mon oncle. Ma mère était amie des familles Orellana et Peña, fondatrices du théâtre, et des artistes des différentes troupes qui offraient leur spectacle de zarzuela et autres. Je suis restée marquée par le spectacle d’une soprano péruvienne, Yma Sumac, dont les notes tellement aigües faisaient éclater une coupe à pied en verre en mille morceaux sur la scène. Les salles de cinéma étaient très bien fréquentées, très propres, très silencieuses et au moindre chuchotement, la acomodadora, lanterne en main, se pointait derrière pour te rappeler à l’ordre. Les rues de Tanger et de Tétouan étaient très propres et les gens plus civilisés, c’était avant l’exode rural … De Tétouan, je regrette le fameux Feddan ! On en a construit un autre, mais le charme, la beauté et la magie qu’avait l’original, le nouveau ne les a pas. De Tanger, que dire ? Il est vrai que certaines places ou monuments ont disparu, mais que voulez-vous, Tanger suit le temps, nous sommes bien au 21ème siècle !
Qu’aimeriez-vous faire dès la fin du couvre-feu et la fin de la pandémie du Coronavirus? De quoi le virus vous a-t-il privé le plus ?
Oh mon Dieu ! Embrasser ma famille et mes amis, les serrer fort contre moi, sans distance ni bavette, ouffff ! Ce maudit virus m’a privé de sortir, de profiter de mes amis, de voyager et voir tous les miens, de célébrer des événements.
Propos recueillis par Abdeslam REDDAM