Vous pouviez très bien réussir comme modèle de mode, journaliste animatrice de grands show TV et même comme actrice, mais vous avez choisi d’être architecte. Pourquoi ?

J’espère que le photographe aura à travers cette série de photos capturé non seulement mon regard mais aussi ma détermination, mon sens du leadership qui insuffle de l’espoir et présage le changement ! Ma foi, Je ne veux surtout pas renvoyer cette image de la femme coincée dans sa féminité ou tributaire de son paraître ! Car au delà de mon statut matrimonial, j’ai un statut intellectuel à mettre en avant et à travers lequel je voudrais me distinguer… Pour le côté journaliste, je prends cela comme étant un compliment ! Merci

Comment ce choix a été fait ?

Toute petite je rêvais de devenir professeur agrégé en Neurochirurgie,  Au collège, je me suis découverte une toute autre passion la lecture, les voyages et les Mathématiques. Au brevet, j’ai réussi à obtenir la première moyenne de tout le Maroc (19.57 /20 une première et un record à l’époque), j’avais fait la Une des journaux ! Par la suite j’ai obtenu un baccalauréat en sciences mathématiques B option Dessin industriel, majeure de ma promotion également, et là ce fut la révélation pour ma vocation pour l’Architecture car je dessinais les pièces constituant le moteur des voitures, et donc c’est là où j’ai beaucoup développé mon sens pour la géométrie descriptive et pour l’imagination en 3D, sans oublier le rôle majeure de mes voyages en Italie depuis l’âge de 10 ans où  j’y séjournais tous les ans pendant mes 3 mois de vacances d’été et où je m’imprégnais énormément des différents styles architecturaux depuis l’antiquité  jusqu’à l’époque moderne en passant par le moyen âge et la renaissance ! Un véritable cours de l’histoire de l’architecture à ciel ouvert qui me fascinait tant à travers mes lectures qu’à travers mon exploration spatiale de tous les monuments historiques que je visitais avec beaucoup d’intérêt et d’admiration.
Après mon baccalauréat, j’ai été admise à Louis Pasteur à Paris, le très prestigieux lycée français fondé en 1914 qui n’admet que 4 maghrébins par an dans ses classes préparatoires pour les grandes écoles d’ingénieurs. Mais après quelques mois en maths sup j’ai vite switché vers l’école d’Architecture, ma vocation première.

Vous êtes mariée avec un architecte (Mehdi Kabbage). Votre vie est-elle aussi planifiée de A à Z, ou c’est bien le contraire?

Oui, notre vie nous l’avions rêvée, puis conçue ensemble depuis maintenant 15 ans ! Nous nous sommes rencontrés à l’école d’architecture, j’étais en première année, il était en sixième année et depuis nous sommes ensemble pour le meilleur et pour le pire. Je me suis mariée à l’âge de 20 ans, mais comme nous avions dessiné en amont notre plan de vie et de carrière, cela ne m’a pas empêchée de poursuivre mes études et réaliser mes rêves (à moi) ni les siens d’ailleurs.  Etant fille unique, j’avais cette revanche sur la vie, de pouvoir  fonder une famille nombreuse. Aujourd’hui je suis une maman comblée de 4 beaux enfants (2 garçons et 2 filles) qu’ils soient protégés et bénis !
Pour l’histoire de la planification ils ont 3 ans d’écart entre eux, l’aîné a aujourd’hui 9 ans, puis 6 ans, 3 ans et une petite dernière cerise sur le gâteau qui a 6 mois.  Et pour ce qui est de l’organisation prévisionnelle et du suivi de ce chantier familial, nous sommes mon mari et moi sur la même longueur d’onde quant à l’éducation des enfants qui demande une organisation militaire à la maison quasi chronométrée où nous établissons des programmes journaliers et où nous nous fixons des objectifs annuels en terme de rendu mais aussi en terme de gestion financière. Nous fonctionnons à l’année budgétaire et non pas au mois pour une meilleure optimisation de la trésorerie de la famille qui contient plusieurs rubriques budgétaires dont la plus importante est le voyage après la scolarité des enfants. Grâce à cette optimisation, nous avons pu emmener nos enfants avec nous en Chine, à Hong Kong, en Indonésie, en Malaisie, aux Maldives etc…Et ce, malgré leur bas âge : ils ne font pas de chichis car nous travaillons sur leur mental et nous communiquons beaucoup avec eux, ils supportent des treks de plusieurs kilomètres, ils ont même escaladé la grande muraille de pékin et fait aussi la grande randonnée d’Akchour …etc

Vous travaillez près de la cour d’Appel de Tanger, expliquez nous en quoi consiste votre travail?

Je suis la seule Architecte Régionale Principale près la Cour d’Appel de Tanger en fonction qui relève du secteur public du Ministère de la Justice. Un poste assez atypique et en même temps très complexe puisqu’il est polyvalent. Parmi mes missions : le Conseil et l’Assistance auprès de l’organe juridictionnel représenté par le premier président et le procureur général du Roi près la Cour d’appel de Tanger en tant que juridiction du second degré, et également auprès des juridictions du premier degré relevant du  tribunal de première instance, du tribunal de commerce ainsi que du tribunal de la famille de toute la circonscription judiciaire du Nord du Maroc (Tanger, Assilah, Larache, Ksar Lakbir…). Je fais également de la Gestion et du pilotage de projets de construction en tant que représentante technique du maitre d’ouvrage. Cette tâche comprend le Diagnostic de l’état des bâtiments, la définition du planning des besoins de chaque tribunal et de la réalisation des travaux le cas échéant.  Je m’occupe également de la Programmation technique des différentes sections et filières juridiques de tous les tribunaux que je chapeaute.
Je prépare les programmes pour les consultations et les concours architecturaux suivant le décret des marchés publics entré en vigueur depuis janvier 2014, j’élabore des CPS « Cahier des prescriptions spéciales», des RC «règlements de consultations» pour les consultations Architecturales. Je Participe à la Passation de commissions de Marchés publics de construction et de réaménagement. Et bien sûr, j’apporte l’expertise et l’assistance technique nécessaire pour les visites de chantiers, et pour le contrôle de l’aspect juridique des travaux réalisés qui nécessite la Coordination entre les différents intervenants dans le chantier. J’établis les rapports sur l’avancement des travaux de construction des différents chantiers en cours dont je suis le Chef de projet, au total presque 14 bâtiments de la justice dans la région de Tanger dont je suis directement responsable. Sans oublier mon rôle de consulting juridique dans les  cas de régularisation, de réhabilitation et de délocalisation pour utilité publique.

Vous êtes en même temps vice-présidente du conseil régional des architectes, alors que votre époux travaille dans le privé. Vous arrivez toujours à rester neutre quand il s’agit de défendre ses intérêts professionnels

Effectivement ! Je suis la vice-présidente exécutive du conseil régional de l’Ordre National des Architectes de Tanger Assilah Larache et Chefchaouen. J’ai été élue par les architectes de la région Nord du Maroc suivant les dispositions de la loi 16-89 relative à l’exercice de la profession d’Architecte, et c’est une marque de confiance que toute la confrérie me confère. Et je suis donc la plus jeune femme architecte à occuper ce poste légal. Une première dans l’histoire de l’Ordre et un honneur pour moi d’avoir été nommée à ce poste qui respecte totalement la parité, met à l’honneur la gent féminine et surtout donne de l’espoir à la jeunesse de ce pays. 
Face à ce devoir de militantisme immense qui m’anime, je suis obligée de rester fidèle au serment d’Architecte que j’ai prêté. Je reste impartiale sur mes jugements car je défends avant tout l’intérêt ultime de toute une profession ! Mais comme je représente le secteur public, j’essaie de ne pas interférer dans les affaires du secteur privé et du coup ce sont les autres membres du bureau du conseil qui jugent les affaires de mon mari pour plus d’impartialité et de transparence. Nous avons un quorum de 25 membres élus.

Le thème de votre doctorat est aussi d’une particularité qui mérite d’être soulignée. On raconte que vous êtes sollicitez par des confrères et autres professionnels sur le plan international pour en discuter. Quel est cette valeur ajoutée de vos recherches dans ce domaine ?

Tout à fait, vous êtes très bien renseigné ! Je suis docteure Architecte. Après 6 ans d’études pour l’obtention de mon diplôme d’Architecture à l’ENA de Rabat, et après une licence en Architecture à l’ENSA de Paris Val de Seine en France, j’ai enchaîné pendant plus de 7 autres années dans le cycle doctoral. 13 années d’études et de dur labeur au total, car je cumulais simultanément plusieurs casquettes. Ce fut une période de construction personnelle et professionnelle assez dure mais les fruits et la satisfaction que m’ont procurées ces années de recherches ont fini par estomper ma peine et ont beaucoup contribué à mon épanouissement. La recherche est pour moi une cause noble à travers laquelle je me suis réalisée.
Au bout de ces 13 années j’ai fini par obtenir mon diplôme de docteur d’état en Gouvernance, Aménagement et Urbanisme. Etant donné que ma thèse est ancrée dans la science politique et plus précisément la politique de la ville et la gouvernance territoriale, elle représente un trait d’union fort entre l’Architecture et la Politique, et reste un domaine de recherche rare et plus que d’actualité.
Ma thèse s’intitule : «Gouverner dans l’urgence par chantiers : le cas de la mise à niveau urbaine de Tanger Métropole».  J’avoue que les chercheurs internationaux s’intéressent à mon travail qui au-delà de l’aspect quantitatif qui renseigne sur  les statistiques du terrain, il comporte un aspect qualitatif inédit qui décrit les jeux d’acteurs évoluant dans le système de ce mode de faire la ville de Tanger avec ses nouveaux bâtiments et chantiers du programme Tanger-Métropole, avec ses circuits et ses contraintes administratives dans un contexte de faible déconcentration et de décentralisation au Maroc.
J’ai suite à ces travaux,  été élue jeune espoir du Maroc dans la catégorie gestion publique parmi 20 autres profils aussi brillants les uns que les autres au même titre que Nacer Ibnabdejalil qui avait été le premier à escalader l’Everest en 2014.
Je publie régulièrement des articles scientifiques, le dernier en date a été référencé à l’international. Une consécration pour tous mes efforts et une fierté pour ma petite famille car le nom de DR S.BENJELLOUN est désormais consultable sur des plateformes de recherche internationale.

Propos recueillis par Abdeslam REDDAM