Le nom de l’architecte Mehdi Kabbaj restera sans doute gravé dans la mémoire de Tanger. En redonnant vie aux jardins de la Villa Harris, il a offert à la ville son Central Park. Dans cet article, il raconte cette belle aventure qui pérennise une magnifique zone verte.
Ce jardin de 9 hectares est d’abord un héritage légué aux futures générations tangéroises. J’y ai voulu donner une partie de ma sensibilité et de mon ressenti d’abord en tant qu’amoureux de la ville de Tanger et de son patrimoine avant d’en être le concepteur en charge de lui donner une seconde vie: une mission des plus ardues. Ce projet pas comme les autres se dénote par sa charge historique et aussi par la singularité de sa genèse qui m’a plongé dans un travail de recherches et d’archivage intensément passionnant. Je me suis évidemment inspiré du charme originel des lieux mais aussi de l’esprit de son premier propriétaire Sir Walter Burton Harris à la fin du XIX siècle, journaliste du Times, aristocrate cultivé et rodé aux voyages dont il a rapporté de nombreuses espèces d’essences et de plantes rares qu’il a mises en culture. Sir W Harris était également écrivain, il est l’auteur du magnifique ouvrage « Morocco that was » dont je me suis particulièrement imprégné sans oublier toute la littérature anglaise sur Tanger, et l’esprit des jardins anglais pittoresques début XIX ème siècle qui a coïncidé avec l’effervescence et l’engouement pour le style naturaliste et paysager en milieu urbain, et bien sûr l’histoire de l’art des jardins qui est très passionnante et qui nous apprend énormément de choses sur le style des jardins de l’antiquité jusqu’à nos jours en survolant les jardins médiévaux, de la renaissance mais aussi du grand siècle (la symbolique des jardins du château de Versailles comme courant paysager)…
Après l’époque de W. Harris, le lieu est devenu un casino-parc avant d’être fermé en 1940, lors de l’occupation de la ville par les troupes espagnoles. Puis ensuite, il a été loué par le Club Med dans les années 60, qui y avait aménagé un de ses villages de vacances. Après la fermeture du Club Med en 1992, le jardin est devenue un squat durant près de 25 ans, soumis à tous les outrages…
Ma mission en tant qu’architecte était de sauvegarder les espèces existantes et de bien étudier les essences implantées et celles que j’allais rajouter à ma conception. Au sein de mon agence, constituée d’une équipe pluridisciplinaire, nous avons d’abord commencé à recenser l’emplacement de chaque plante exotique implantée par Sir Harris. Nous avions constitué une base de données avec le nom et l’origine des essences pour la plupart originaires de l’Amérique latine tel que (l’agave mexicaine, Trachycarpus fortunei,Yuca linearis). Après ce travail méticuleux sur l’état des lieux et sur la restitution originelle, nous avons milité pour la sauvegarde de ces plantes, parfois mortes ou vandalisées vu leur âge et l’ancienneté des lieux. Comme Sir Haris était un mordu de Botanique, il avait ramené des espèces exotiques à Tanger d’Amérique du Sud et d’Asie, chose que nous avons tenu à refaire.
Ensuite, sur la base de l’aménagement initial fait par le maître des lieux, nous avons aménagé des parcours sensoriels mais aussi olfactifs qui invitent les cinq sens dans ce jardin edénique. La conception ne pouvait être complète sans les allées piétonnes que Sir Harris avait souligné par des Palmiers Washingtoniens, et où certaines ont même été restaurées, malgré le fait que le Club Med les avaient supprimées lors de la troisième conversion des lieux en 1960. Nous avons donc conçu et réalisé ces allées en terre stabilisée pour ne pas dénoter avec l’ambiance générale afin de permettre aux visiteurs de déambuler en rejoignant les nouvelles aires des jeux pour enfants. Nous avons également maintenu les perspectives originelles imaginées par Sir Haris. Nous avons par ailleurs pensé aux entraînements des joggeurs en implantant une série d’équipements sportifs mis gratuitement à disposition à l’instar de ce qui se fait dans les grands parcs en milieu urbain que j’ai visité, et desquels je me suis inspiré comme le fameux Central Park de New York ou encore le Hyde Park de Londres… j’ai tenu à y insuffler cet esprit contemporain de lieu de sociabilisation et de détente à la fois. Bref un poumon vert en milieu urbain plus qu’utile en ces temps de pandémie.
Pour conclure, Je suis particulièrement fier de redonner une nouvelle vie à ce jardin mythique où désormais les pistachiers, les conifères, les eucalyptus,les cactus, les palmiers de toutes sortes, et même des oliviers fleurissent sur des parterres multicolores venant sublimer ce cadre verdoyant, grand central Park de Tanger.