Maria M’birkou Bernossi
Etre femme  «c’est être en harmonie avec son entourage et avec soi»

Le hasard fait bien les choses!
Oui! Maria M’birkou Bernossi n’a pas honte de l’avouer: «c’est le hasard qui a fait que je m’installe à Tanger, mais c’est un hasard heureux!»
Elle s’installe donc avec sa famille en 1978 à Tanger et, dans la foulée, devient membre de la Crèche de Tanger puis présidente du syndicat des pharmaciens à Tanger et, en 1990, elle crée l’ALCS – section Tanger, dont elle devient présidente en 1994.
Le secret de son succès?
«Concilier, dit-elle, harmonieusement, par une organisation stricte, mon temps, mes occupations professionnelles, familiales ou associatives.»
Est-ce tellement facile pour Maria M’birkou Bernossi d’être aussi active?
Son œuvre n’est-elle que le simple fruit d’un hasard trop conciliant?
La logique de ce «hasard» est dans le tempérament de cette femme autonome et fortement convaincue de jouer un rôle dans la société qui est la sienne. Enfant encore, elle côtoyait deux modèles de femmes libres et responsables: sa grand-mère et sa mère. Elle se souvient encore de cette grand-mère traquant les informations dans la radio et, pour mieux accompagner les événements politiques que vivait son pays, elle poussait ses filles à participer à la lutte contre l’analphabétisme. Maria évoque ce temps lointain non plus sous forme de souvenir terne et statique mais comme un tableau dynamique dans lequel elle continue à se ressourcer. Ses yeux s’animent quand elle évoque l’aventure de cet ancêtre, exilé volontaire en Arabie Saoudite, et qui, dès son retour au Maroc devient fquih et décide d’enseigner l’arabe et l’islam à ses filles. Elles n’auront pas à quitter la maison familiale mais elles seront mieux armées que les autres, plus libres puisque le signe déplace les murs et élargit l’espace. Ces filles qui se mettent à lire les romans en cachette de leur père, pour qui la littérature n’était qu’une dépravation des mœurs, seront aussi les premières à répondre à l’appel du devoir et se mobiliser, avec la bénédiction des leurs, dans la campagne contre l’analphabétisme. C’était à l’aube de l’indépendance du Maroc. Elles puiseront leurs forces, comme toutes les autres marocaines, dans l’effervescence de la lutte pour l’indépendance. «Fortes de la bénédiction de leurs maris, elles s’habilleront à l’européenne pour prouver leur émancipation. C’était un signe de patriotisme alors», nous dit Maria qui continue :
«Mon père, qui était un homme moderne, accompagnait ma mère au cinéma ou au théâtre en cachette de ses parents. Un tel homme ne pouvait pas ne pas donner la même éducation à ses enfants, abstraction faite de leur sexe. Mon frère ne jouissait d’aucun privilège, bien au contraire, du fait qu’il était fils unique, c’était à nous, les filles, de le protéger. Il est vrai que mon père était fier de son fils mais ma mère tenait à ce que nous soyons traités tous sur le même pied d’égalité.»
En compagnie de ses sœurs, Maria connait les colonies de vacances, comme élève d’abord puis comme monitrice. Elle sera scout ce qui lui permettra «de s’ouvrir sur les autres, d’apprendre la tolérance mais surtout d’acquérir le sens de la responsabilité». Elle s’engagera par la suite dans diverses activités sociales. Ainsi, adolescente, elle aidera «les délinquants à El Gara, à Casablanca».
Grâce à son père et à ses oncles, grands adeptes des sports aquatiques, elle verra sa vocation sportive de se développer.
«La lutte contre l’analphabétisme a poussé ma mère à nous apprendre comment nous défendre, défendre nos droits, nous émanciper, nous respecter et respecter les autres. Nous avions en elle une alliée inconditionnelle; quand on nous critiquait dans la famille, elle rétorquait aux autres femmes: «mes filles portent le short, le pantalon, mais vous allez voir, dans vingt ans, ce qu’elles deviendront et ce qu’il en sera de vos filles! J’ai confiance en mes filles et je sais qu’elles réussiront dans la vie, qu’elles travailleront et seront heureuses.»
Mère visionnaire? Non, dira d’elle Maria Mbirkou Bernossi, «elle nous aime de cet amour simple et limpide qui fait de la mère une amie et non une geôlière. Quand j’ai connu mon mari, j’ai parlé de lui à ma mère». Abdellatif Bernossi, son mari, est le père de ses enfants Qods, l’aînée, Salim, le cadet et Assil, le benjamin. Epouse et mère, Maria se qualifie d’abord comme citoyenne.
Le retour au passé est balayé par le regard serein de Maria. Elle effeuille ses souvenirs, un à un, calmement, sans passion, les commentant :
«Le baccalauréat en poche, j’ai décidé de partir en France pour poursuivre mes études. Aucun écueil ne s’est dressé sur ma route. Ma famille m’a aidée mais j’étais très marquée par la scolarité trop répressive que j’ai connue au Maroc. Je l’avais traînée avec moi en France et j’ai eu un choc, une fois là-bas, surtout quand j’ai vu la liberté des rapports entre étudiants et enseignants. Je n’arrivais pas à me débarrasser des contraintes, mais c’était un choc positif qui m’avait poussée à évaluer les rapports avec les autres et à évoluer. »
Dans cette trajectoire estudiantine, Maria ne s’était pas penchée vers la politique. «Jamais je n’ai ressenti le besoin de m’engager politiquement. J’aimais plutôt m’engager dans des actions concrètes! D’ailleurs, l’expérience a prouvé que tous les partis n’ont pas fait grand-chose pour les femmes. En tout cas, actuellement, ils ne répondent pas à ce que je ressens…»
Maria M’birkou Bernossi est chaque fois prête à s’engager, «c’est, dit elle, parce que j’aime aider les autres. Il est plus facile de le faire en tant que membre de la société civile car on ne s’embarrasse pas de discours, on agit et surtout, on peut corriger la cible, voir l’évolution de nos actions… le travail de terrain est plus constructif. Je suis une femme d’action et souhaite être impliquée dans un engagement physique et morale, qui me relie aux autres et à moi-même. La nécessité d’un certain esprit, le sens du soutien que l’on peut apporter à autrui me motivent. Dans ce domaine, on est obligé d’opter pour l’abnégation, le don de soi. La société civile prend le relais dans certains domaines mais non toutes les charges. L’ Etat a des responsabilités qu’il doit continuer à prendre, ne serait ce que pour éviter certains dérapages. Il faut qu’il y ait des garde fous !»
Pour Maria M’birkou Bernossi «la société civile est un soutien pour l’Etat et un stimulateur aussi.» Elle pense que «l’émergence de la société civile a représenté une déception pour les partis car elle a permis l’apparition de structures nouvelles et sans blocage administratifs. La démocratie a joué pleinement son rôle: il n’y a pas de délégation de pouvoir par l’Etat aux associations. La société civile doit être un complément pour le travail de l’Etat et non se transformer en partis politiques. Elle n’est pas non plus un groupe de pression, au Maroc au moins, comme on l’a vu lors du Plan de l’Intégration de la femme au développement. »
Femme moderne, Maria affirme son identité sans fausse pudeur:
«Je suis une femme de demain. Je me sens femme et suis fière de l’être, pourtant, quelques fois, j’ai des comportements que quelques personnes qualifient de «garçon» alors qu’ils sont en réalité ceux d’une femme libre. J’essaie d’être bien dans ma peau. Bien sûr, avec tous mes complexes, j’essaie d’être bien avec les autres, c’est grâce au sport si j’y arrive. J’aime les gens, la nature humaine, j’aime bien qu’on m’aime et je ne dis jamais que je vais perdre mon temps avec quelqu’un car il y a toujours un petit truc qu’on découvre, agréable, séducteur. Aimer c’est aussi se laisser aimer…»
Maria M’birkou Bernossi trouve son équilibre dans le sport mais elle se ressource auprès des siens, des personnes qu’elle aime:
«Parce que je suis femme, j’aime les hommes, j’aime un homme, intellectuellement et physiquement, depuis plus de trente ans, la même personne. Avec le temps, la passion s’assagit mais les rapports deviennent plus solides; c’est l’amitié, le respect, la complicité.»
La passion de vivre se transforme en un hymne à la vie dans la bouche de cette femme convaincue que c’est «la famille qui reste plus longtemps».
Paroles ferventes d’une femme qui se reconnaît d’abord comme «citoyenne car il y a tellement à faire dans cette société, dans ce monde. Je ne laisserai jamais tomber la cause des femmes. Je suis femme et je sais que la femme a plus besoin d’être soutenue. Il y a des femmes qui vont contre leurs propres intérêts. Nos droits, et ceux des hommes aussi, sont à conquérir ! »
Etre femme «c’est être en harmonie avec son entourage et avec soi.» Et comment ne pas réaliser cet état quand on est soi-même une sportive confirmée, comme c’est le cas de Maria M’birkou Bernossi ?
«J’aime être en bonne santé et j’ai un corps qui m’aide à l’être, Grâce à Dieu !»
Le rapport de Maria avec son corps est un rapport sain, libre et confiant: «j’aime avoir un contact direct avec la nature, être touchée par les rayons du soleil et si je porte beaucoup plus le pantalon que la robe, c’est que j’aime être libre de mes mouvements. Je trouve que nous avons beaucoup lutté et que nous sommes encore victimes des restrictions alors pourquoi revenir en arrière et renier tout ce pour quoi nos mères ont lutté?»
Pour Maria, le voile n’est pas signe de pureté ou de sagesse comme certaines le laissent entendre car «combien de femmes voilées commettent des bêtises?!» La religion, selon Maria M’birkou Bernossi «est dans le cœur» mais, en femme tolérante et démocrate, elle «respecte les femmes qui ont fait du port du voile un choix !»
S’il y a quelques chose que cette citoyenne exècre, c’est qu’on continue à traiter la femme comme objet: «il existe chez toutes les personnes un grain de séduction, dans les gestes, dans les attitudes, dans la manière d’être mais toutes n’acceptent pas d’être réduites à des objets de séduction!»
Avec une gestuelle mesurée et une parole modérée, Maria Mbirkou Bernossi développe sa pensée:
«il faut être positive dans la vie. Les choses négatives, il faut les ignorer et attendre qu’elles passent. J’ai tendance à dédramatiser. Autour de moi, on prend ça pour de la négligence alors que je crois qu’il ne sert à rien de forcer sur les choses. Dans l’ALCS, j’ai beaucoup appris, en plus des formations, j’ai appris à être encore plus tolérante, j’ai appris surtout à relativiser les choses : ces personnes exclues dont la maladie est un tabou m’ont enseignée la tolérance, la dédramatisation. Ma douleur est minime devant celle des autres, de ceux-là et de bien d’autres, de toutes les personnes qui n’ont pas eu la chance que j’ai eue… »