Mustafa Akalay Nasser, directeur de l’Esmab UPF.Fès

Dans les univers minéraux et désertiques,
l’architecture de terre fait corps avec le paysage.
Nichées au pied des montagnes,
les habitations semblent prendre dans le sol dont elles sont faites.

Le Maroc, en tant que pays d’Afrique du Nord, constitue aux portes de l’Europe, l’un des lieux les plus pertinents de l’architecture de terre , comme en témoignent ses villes dites impériales, ses forteresses et ses casbahs, véritables œuvres d’art et d’une valeur patrimoniale indiscutable, que des hommes anonymes ont érigé à travers l’histoire, une architecture sans architectes, mieux dit une architecture vernaculaire, longtemps oubliée par la modernité, et qui avait ses propres valeurs, tant esthétiques que fonctionnelles. C’est une architecture qui ne passe pas par la tête, ni les plans d’un concepteur et les maisons sont construites par leurs propres habitants.
Le concept d’architecture de terre  en berbère s’appelle tabut, déformation de  tabia en arabe, terme probablement phénicien d’où provient sans doute le mot pisé, il est lié à une construction en terre anonyme et préindustrielle, fruit de sagesse populaire collective : (auto-construction), qui selon l’ethnographe berbériste français Laoust : « l’ architecture de terre  aurait été importée de la péninsule ibérique, bien qu’il semble plus logique de penser que les Ibères comme les Berbères ont appris cette technique de construction des Phéniciens. »
L’architecture en terre crue est omniprésente dans le sud du Maroc : une zone de vallées désertiques et d’oasis où abondent les forteresses de couleur ocre, construites par les maalems avec cette technique vernaculaire qui utilise la terre comme un matériau de construction. Ledit matériau  nécessaire à la construction d’une casbah  ou d’un Ksar  se trouve dans la région et, généralement, très proche du lieu où l’on travaille. L’élément de base est la terre, la pierre n’est généralement pas loin, à cela s’ajoutent la paille et le bois.
L’architecture de terre crue atteint son apogée à l’époque d’Al-Andalous et constitue l’une des manifestations les plus ingénieuses et les plus vitales de l’art de la construction de la fin du Moyen Âge, elle s’enracine en Espagne dans l’architecture vernaculaire de laquelle elle exerce son influence plus ou moins voilée, jusqu’à pratiquement nos jours.
Nous suivrons la description de la construction en terre, mentionnée par le pénétrant sociologue et historien andalou Ibn Jaldun dans ses Muqqadima (prolégomènes) de la main de l’arabisant José Miguel Puerta Vílchez qui l’a si gracieusement expliqué dans ce livre lumineux édité par Akal et intitulé : Histoire de la Pensée, esthétique arabe ! Al-Andalous et esthétique arabe classique !
« En ce qui concerne les techniques de construction spécifiques, l’auteur de la Muqqadima mentionne ce qui suit : a) construction de murs avec des pierres taillées ou avec des briques (ayyur) soudées avec de la boue (Tin) et de la chaux (Jir) qui adhèrent comme s’ils n’étaient qu’un corps ; b) construction des murs en terre (Turab) en prenant une paire de planches dont la longueur et la largeur varient selon les coutumes et qui sont remplies de terre et de chaux jusqu’à ce qu’elles prennent forme et que les planches soient enlevées ; ce système s’appelle (tabiya) et l’artisan qui le travaille s’appelle Tawwab ; c) recouvrir les murs avec de la chaux après avoir été traité ; d) construction du toit (Saqf) en utilisant des poutres et d’autres matériaux afin de couvrir les espaces laissés entre les murs finissant par le badigeonner avec un système similaire au badigeonnage des murs. Tous ces détails techniques qu’offre Ibn Khaldoun, aussi schématiques soient-ils, sont intéressants par la clarté avec laquelle il les explique, par le vocabulaire technique qu’il propose et parce qu’ils répondent à des techniques de construction encore observables dans les vestiges archéologiques qui nous sont parvenus d’Al-Andalous et d’autres pays islamiques ».
Pour l’Andalou Rodolfo Gil Benumeya, l’architecture de terre était l’expression maximale des liens historiques et architecturaux qui unissaient les deux rives du détroit de Gibraltar : « Au Maroc et en Andalousie, l’art populaire a adapté la sensibilité hypertrophique de l’art musulman à la terre. L’art dynastique andalou de l’Alhambra et de Fès est aussi un décor abstrait ; Palais, mosquées et casbahs ont été magrébisés, ils ont été habillés à la mode maghrébine ; ce sont la Giralda et la Koutoubia, rectilignes, imposantes, devant l’élancement ailé des minarets du Caire, ce sont les plafonds de la mosquée cordouane, absolument opposés aux dômes de l’art syro-byzantin d’Egypte, de Turquie, de Mésopotamie et persan »
Dans le Maroc présaharien, la construction en terre crue est une partie essentielle d’un système intégral où les modes de vie et de culture de l’oasis complètent la définition d’un mode d’habitat traditionnel d’intérêt socioculturel certain mais qui est en voie de disparition comme le relate Roger Mimo dans son ouvrage « Forteresses de terre au sud du Maroc” :
« Aujourd’hui le voyageur contemple avec étonnement comment les paraboles émergent sur les terrasses en pisé, comment le ciment remplace la terre, comment les jeunes changent la » Djellaba ou kandoura » pour les jeans et comment les produits importés par Ceuta envahissent les marchés. Les anciennes forteresses de terre sont toujours debout, elles ont plutôt tendance à disparaître non pas parce que leurs fondations échouent – qui sont extraordinairement solides – mais parce que la mentalité de leurs propriétaires a changé ».
Une grande partie des coutumes ancestrales qui ont donné un sens à ce mode d’occupation du territoire sont encore préservées. Cependant, les transformations nécessaires qui s’opèrent dans l’environnement du peuple berbère entraînent l’abandon progressif des villages traditionnels, la disparition des oasis et des techniques de construction en terre, représente une perte irréparable de cet important héritage architectural, ethnologique et environnemental.
La valorisation des villes de ce monde rural doit être la clé de leur conservation, étant une redéfinition des valeurs traditionnelles qui permet la mise en place de stratégies d’action compatibles avec les formes de vie contemporaines et les processus de modernisation… Les parcours de durabilité proposent différentes lignes d’une action qui, basée sur la connaissance des valeurs existantes, explore de nouvelles alternatives qui favorisent le développement dans une région aussi déprimée, comme la réhabilitation des casbahs en hôtels, respectant la tradition, fuyant le pittoresque, mais misant sur la modernité, c’est le seul moyen de dynamiser l’économie de la région du sud   par le tourisme : Il ne s’agit pas de s’ opposer à la  nouvelle architecture, mais de l ‘intégrer et de dialoguer avec le style antique … L’austérité ne sera pas en contradiction avec le confort non plus. Pour cette raison, les patios poussiéreux se transforment en oasis intimes, bien ombragés par des bassins et, dans les intérieurs, les espaces s’habillent de formes, de couleurs et de textures qui réinterprètent la tradition berbère. Parmi ceux-ci, un élément se distingue, la grille forgée, qui se répète dans les fenêtres et les toits, dont le dessin rectiligne est un motif typique de cette architecture berbère.