Après avoir harcelé sexuellement plusieurs jeunes femmes, à Tanger, l’ancien PDG d’Assu 2000 (VILALI aujourd’hui), Jacques Bouthier, qui avait fui le Maroc, est toujours libre en France.

Assu 2000. Un matin de juin 2022. Une information vient de tomber avec l’effet d’une bombe qui va secouer toute l’opinion publique marocaine. Six jeunes femmes avaient alors déposé plainte contre Jacques Bouthier, le PDG du groupe français, dont la succursale Tangéroise était située à quelques pas seulement du grand commissariat de police. Après ce scandale, la succursale a changé de nom, elle s’appelle actuellement Vilavi, et plus tard même l’adresse.
Les faits présumés sont situés entre 2016 et 2022. Au total, six plaignantes se sont constituées partie civile. Selon leurs témoignages, leur quotidien était émaillé par des actes de harcèlement sexuel systématique, de menaces et d’intimidations, dans un contexte de fragilité sociale.
Le 17 juillet 2024, la justice marocaine a condamné sept collaborateurs de l’ancien PDG d’Assu 2000 à des peines de 4 à 10 ans de prison ferme dans le cadre d’une affaire de “traite humaine”, “harcèlement sexuel” et “non dénonciation de crimes tentés ou consommés”.
« La chambre criminelle de première instance près la cour d’appel de Tanger a condamné une accusée à 10 ans de prison ferme, six autres (accusés) à quatre ans de prison chacun. Tandis qu’un huitième a écopé de six mois avec sursis », avait alors indiqué Me Aïcha Guella, avocate de la partie civile.
La justice a également condamné les accusés à verser un dédommagement de 100.000 dirhams (plus de 9.300 euros) à chacune des six plaignantes qui s’étaient constituées partie civile.
Des témoignages rares au Maroc où les victimes d’abus sexuels restent souvent stigmatisées par la société.
En effet, les témoignages des victimes, rapportés par l’avocate, sont glaçants : harcèlement sexuel, messages indécents, licenciements abusifs, voyages organisés à l’étranger dans un but clairement sexuel… Ces pratiques, selon Me Guellaâ, s’inscrivaient dans un système mis en place par Jacques Bouthier et ses collaborateurs pour exploiter la vulnérabilité de jeunes femmes.
En plus des témoignages faits devant les juges, il y a eu ceux faits aux chaînes de télévision, notamment françaises. C’est le cas du témoignage de Mariam (19 ans) qui avait déposé plainte contre JB pour harcèlement sexuel. En 2019, la jeune marocaine travaille dans l’agence Assu 2000 à Tanger. Entretenant une relation très difficile avec sa hiérarchie depuis des mois, elle contacte le grand patron pour qu’il intervienne. “Et là, il me sort : ‘je viendrai bientôt à Tanger. Vous couchez avec moi et vous serez ma protégée'”, relate la jeune femme à TF1.
Par SMS, ensuite, Jacques Bouthier se serait montré beaucoup plus cru. “Il me parle que de ma langue, de mes lèvres, qu’il regrette de ne pas m’avoir dans son lit, des trucs dégueulasses”, poursuit Mariam. Cette dernière refuse tout rapport sexuel et évoque cette histoire avec quelques collègues. Quatre jours plus tard, elle est licenciée. Son avocat raconte les appels anonymes et les menaces de mort qu’elle aurait reçu ensuite de plusieurs personnes. “On est peut-être au début d’une affaire d’une plus grande ampleur, en tout cas en ce qui concerne Tanger. C’est possible”, affirme-t-il.
Et c’est bien ce qui effraie Mariam qui a choisi de porter plainte en France, là où Jacques Bouthier est poursuivi pour viols sur mineures et incarcéré. “J’ai peur, oui. Jusqu’à aujourd’hui, même s’il est mis examen, j’ai toujours peur. J’ai peur de ses rabatteurs, j’ai peur des autres responsables. Ce sont des gens dangereux”, assure-t-elle.
L’enquête a mis au jour un système d’exploitation élaboré, utilisant la hiérarchie pour exercer des pressions sur les employées. Les témoignages recueillis révèlent un environnement de travail toxique, caractérisé par le harcèlement, les humiliations et les violences psychologiques. Ces pratiques auraient été systématisées et encouragées par la direction.
Loin d’être satisfaite du jugement rendu par la chambre criminelle près la cour d’appel de Tanger dans le procès Jacques Bouthier, la défense des victimes a décidé de faire appel, dans l’espoir d’obtenir le durcissement des peines prononcées contre les inculpés.
L’avocate des victimes et présidente de l’Association marocaine des droits des victimes (AMDV), Aïcha Guellaa, a souligné avoir reçu «avec satisfaction le fait que le tribunal ait été réceptif aux arguments sur la commission de crimes de traite d’êtres humains à l’encontre non seulement des victimes déclarées mais aussi d’autres qui n’ont pas déposé plainte pour des considération sociales et culturelles.»
Par ailleurs, Mᵉ Guellaa a critiqué le montant des dédommagements décidés par le tribunal: «C’est une chose salutaire d’activer les dispositions de la loi sur la traite humaine dans ce dossier. Seulement, il est regrettable que le montant des dédommagements ne constitue en rien une compensation adéquate aux torts infligés aux victimes, dans la mesure où ces actes sont considéré comme des crimes de grande gravité, en raison de leurs conséquences néfastes aux plans économique, social et psychologique, entre autres. De ce fait, la réparation doit être proportionnelle au préjudice subi.»
La justice marocaine avait diligenté en 2023 une commission rogatoire en France afin d’auditionner Jacques Bouthier, mis en examen pour, entre autres, «traite d’êtres humains» et «viols sur mineure». Septuagénaire, l’ancien PDG du groupe de courtage en assurance Assu 2000 a été libéré sous caution, sous contrôle judiciaire, pour raisons médicales en mars 2023 après dix mois derrière les barreaux.
Restera-t-il libre pour toujours?
A.R.