Écrire sur Tanger: « L’origine de mon choix est due à mon propre penchant pour la littérature comme mode de représentation du monde »

Professeure universitaire, Randa Jebrouni est aussi l’écrivaine, en langue espagnole,  de livres et romans d’un énorme succès littéraire.
A la lire, on redécouvre Tanger sous d’autres angles très passionnants, mais aussi une langue magnifique qu’elle utilise avec beaucoup d’élégance.
Vous êtes titulaire d’un doctorat en Lettres Modernes sous le titre Les représentations de Tanger dans les récits espagnols et marocains actuels.  Vous êtes professeur de Théorie et Critique Littéraires au Département d’Etudes Hispaniques de la Faculté des Lettres et des Sciences Humaines de Tétouan et votre livre s’intéresse tout particulièrement à Tanger dans ses divers aspects littéraires et artistiques. Quelle est l’origine de cette relation et de ce choix porté sur Tanger ?

L’origine de mon choix est due à mon propre penchant pour la littérature comme mode de représentation du monde. En particulier, il y a environ huit ans, j’ai été frappée par l’apparition croissante de certains romans espagnols dont l’intrigue se déroulait dans cette ville et j’étais curieuse de les lire et de voir comment Tanger y était représentée. Je crois que l’origine de tout commence par une question.

Dans son analyse dédiée à votre dernière œuvre sur Tanger (publiée dans notre site en espagnol Estrechonews), José María Luzundia a expliqué que vous aviez placé Tanger dans la littérature des villes ou dans les villes de la littérature. Quelle est votre réponse exacte à cette déduction?

José María Lizundia rédige une critique d’un article qui a été publié dans un livre collectif coordonné par ma collègue Rocío Rojas Marcos, intitulé « Au carrefour de la Méditerranée, Tanger et le patrimoine culturel espagnol au Maroc».  J’y analyse Tanger comme un non-lieu. La différence entre ville littéraire et littérature de ville est que la ville littéraire possède une industrie culturelle qui promeut la lecture à travers les bibliothèques, les librairies, les clubs de lecture ;  des éditeurs littéraires spécialisés dans différents genres, des théâtres qui représentent de grandes œuvres et de nombreuses autres activités liées à la promotion de la littérature qui ont un fort impact sur la ville. Tanger ne répondait pas encore à ces critères, cependant, Tanger apparaît dans la littérature depuis de nombreuses années, de nombreux écrivains, et pas seulement espagnols, s’en sont inspirés. La différence entre Tanger comme espace pour la littérature (Ville littéraire) et comme espace pour la littérature (Ville Littérature) est claire. De nombreux écrivains inspirés par Tanger comme espace pour leurs romans disent généralement «ville littéraire», dans ce cas ils se réfèrent à la ville dans la littérature.

Rocío Rojas-Marcos, qui a un intérêt très spécial également pour Tanger et à travers de nombreuses publications dont « Tanger, segunda patria », partage avec vous cette passion très profonde de cette cité. Comment décrivez-vous votre relation personnelle et professionnelle?

Rocío et moi sommes amis et collègues, nous sommes unies par un intérêt pour l’étude de cette ville, et à ce titre nous nous lisons et parlons de notre travail.

Outre la littérature, vous avez aussi analysé la présence de Tanger dans le cinéma espagnol et dans l’art en général.  A votre avis, comment est actuellement cette image chez les Espagnols?  Est-elle suffisamment positive?

Dans mon livre, je consacre un chapitre au cinéma espagnol et marocain du XXIe siècle. Dans le cinéma espagnol, Tanger comme espace existe dans trois films seulement.  Dans l’art, cependant, il y a plus de peintres et de photographes qui représentent la ville dans leurs œuvres; ils offrent un regard actuel soucieux de l’évolution de la ville, et de l’univers de la Médina, de son architecture et de ses commerces et souks. J’ai publié un article sur Tanger dans la peinture espagnole consultable sur internet, où apparaît l’artiste Consuelo Hernández, qui a vécu ici durant de nombreuses années.
Quant à l’image qui est projetée au cinéma, c’est celle d’une ville frontière, et d’un lieu ouvert à de nouvelles expériences, de refuge. Lieu qui permet l’état d’apesanteur culturel et social des écrivains nord-américains, il nous rapproche en ce sens de cette parenthèse spatio-temporelle des années de la Beat Generation. Le film « La caja 407 » et la série «El tiempo entre costuras» ne présentent pas une image très positive. L’art et le cinéma ont une sensibilité particulière à chaque artiste.

Et la femme dans les écrits de Randa Jebrouni.  Quelle est sa part dans vos livres?

Il y a plusieurs écrivains qui m’ont intéressé comme Sonia García Soubriet, María Dueñas, Badia Hadj Nasser, Imane Ben Lefki, Nassima Raoui, Rachida Madani, Aicha Belhaj, entre autres. Je continue d’étudier les femmes écrivaines et d’écrire à leur sujet pour de futurs travaux.

Une intellectuelle de votre niveau ne mâche pas ses mots: quelles sont alors pour Randa Jebrouni les véritables clés de développement de la femme marocaine?

Une éducation non sexiste, l’instruction des garçons et des filles dès le plus jeune âge au respect des droits de tous, hommes ou femmes, et surtout de l’indépendance économique.

Propos recueillis par Abdeslam REDDAM