Le pétrole est en train de se transformer en casse-tête pour le Maroc. Alors que le budget 2021 table sur un prix moyen du baril à 45$, les cours ont terminé la semaine dernière à plus de 69$. Les saoudiens sont plus que jamais engagés dans une politique de réduction de la production, car il s’agit bien d’une question de survie.
Le maintien à bas niveau de la demande de pétrole et le manque d’investissement à court et moyen terme pourraient bouleverser les rapports de force de la géopolitique de l’énergie. Cette nouvelle donne risque de fragiliser des pays très dépendants de la rente pétrolière. L’impact du Covid-19 sur la géopolitique du pétrole semble donc déterminé à durer.

Quel a été l’impact du Covid-19 sur les marchés pétroliers ?

La crise du Covid-19 a provoqué un choc d’une ampleur exceptionnelle sur les marchés pétroliers en 2020. Les limitations de déplacements et le recul du PIB mondial (4,4% FMI) ont provoqué une chute de presque 10% de la consommation de pétrole dans le monde (recul de la consommation mondiale de 2020 au niveau de 2013).
Ce choc sur la demande a entraîné un repli des cours mondiaux du pétrole, déjà fragilisés par le ralentissement de la croissance mondiale en 2019 et par une capacité excédentaire de production de pétrole au niveau mondial. Avec la crise du Covid-19, les cours du Brent sont tombés à 41$ en 2020 en moyenne annuelle, soit leur plus bas niveau historique depuis 2004.
C’est une catastrophe gigantesque pour l’ensemble du pétrole cher à extraire dont le classement en ordre décroissant est:
• Le pétrole de canadien & le pétrole de schiste US (50 à 60$ le baril)
• Le pétrole Offshore (30 à 50$ le baril)
• Le pétrole Russe (10 à 20$ le baril)
• Le pétrole du Golf (5 à 10$ le baril)
La Russie et les pays du Golfs n’ont absolument pas intérêt à ce que les cours remontent. Cela leur permet d’éliminer leur principal concurrent les USA.
Les russes et les saoudiens savent très bien que s’ils maintiennent les prix en deçà des 30 à 45$ le baril, ils éliminent complètement le pétrole US et canadiens.
Je ne pense pas qu’ils vont se gêner car c’est tout bénéfice pour eux pour après. Ils pourront allègrement fixer les prix du pétrole parce qu’il n’y aura plus que 2 ou 3 acteurs après avoir éliminer l’actif pétrolier américain et canadien.

Quel a été l’impact sur la géopolitique du pétrole en 2020?

La crise des marchés pétroliers du Covid-19 a mis sous tension les grands pays au cœur de la géopolitique du pétrole en 2020 (USA, ARABIE SAOUDITE et la RUSSIE).
En Mars 2020, le Covid-19 a provoqué une véritable crise entre l’Arabie saoudite et la Russie. Actuellement, ces 2 pays chapeautent l’OPEP+, un groupe composé des 14 pays de l’OPEP, conduit par l’Arabie saoudite, auxquels s’ajoutent 10 autres pays producteurs pétroliers, dont la Russie. L’objectif de ce groupe est d’accéder à réguler les prix mondiaux du pétrole. Face à la chute sans précédent de la demande mondiale, l’OPEP+ a effectué une réduction supplémentaire de la production de 1,5 mb/j jusqu’à la fin de l’année. Cette proposition a rencontré un refus net de la Russie. En réaction, l’Arabie saoudite a augmenté sa production de pétrole et baissé ses prix à l’exportation pour défendre ses parts de marché. Sévèrement pénalisée par cette démarche, la Russie a été contrainte de revenir à la table des négociations et de convenir d’un nouvel accord début avril: au lieu d’une coupe de 1,5 mb/j, les membres de l’OPEP+ se sont engagés à diminuer leur production de 9,7 mb/j de mai à juin 2020, puis de 7,7 mb/J sur le deuxième semestre 2020.
La crise pétrolière de 2020 a également sérieusement ébranlé le premier producteur mondial: les États-Unis. Les coûts de production du pétrole de schiste sont nettement plus élevés que le pétrole conventionnel exploité en Arabie saoudite ou en Russie. La crise du Covid-19 a mis l’industrie pétrolière américaine en grande difficulté (250 unités en août 2020, le plus bas niveau enregistré aux États-Unis depuis 1973).

Cette crise transforme-t-elle la géopolitique du pétrole ?

La crise du Covid-19 n’est pas qu’une crise conjoncturelle et elle pourrait chambouler la géopolitique du pétrole de manière structurelle. La crise du Covid-19 est une crise sanitaire et c’est la restriction de la mobilité qui condense en partie la demande de pétrole pour les transports, cela représente 45% de la production pétrolière. Selon les estimations de l’EIA, la demande mondiale de pétrole ne récupérera son niveau d’avant crise qu’à la fin 2022.
Ce phénomène s’accompagne à moyen et long terme d’un désinvestissement progressif du secteur pétrolier. Assurément, la crise du Covid-19 accélère des tendances de fond déjà existantes comme la transition énergétique. Les hésitations des marchés pétroliers associés à l’élan des énergies renouvelables et l’arrivée à maturité de nouvelles technologies décarbonées commencent à discréditer l’opinion des investisseurs dans le secteur des énergies fossiles.

Quelle serait le scénario géopolitique de ce dérèglement du marché pétrolier ?

L’Afrique du Nord et le Moyen-Orient sont 2 régions principalement alignés et disposés aux secousses poussées par l’impact du Covid-19 sur les marchés pétroliers.
L’Algérie a besoin d’un baril à 135$ pour équilibrer sa balance fiscale en 2021, de 124$ pour la Libye et de 395$ pour l’Iran, d’après les estimations du FMI.
Sans compter que la crise du Covid-19 a déjà fragilisé les économies de nombreux pays pétroliers, dont la rente risque de ne pas suffire à maintenir des équilibres déjà instables socialement et politiquement, à l’exemple de l’Irak.
Le recul des investissements dans le secteur pétrolier mets aussi en scène un défi pour des régions comme le Kurdistan irakien, très dépendant de sa production pétrolière pour assurer son autonomie vis-à-vis de Bagdad.
Bienvenu dans ce nouveau Monde…

Propos recueillis par Abdeslam REDDAM