Fatema Belguerch & Fatima Gharbaoui
Quand une femme tend la main à d’autres femmes, elle accomplie un acte citoyen certes ! Elle contribue à l’éclosion de talents qui donnent un sens plus profond à la vie surtout. C’est le cas de Ythimad Bouziane qui, à travers le travail qu’elle entreprend avec son institution, la Légation américaine, a permis que de nombreuses femmes puissent dessiner un visage nouveau à leurs avenir : les deux témoignages qui suivent disent la force de la solidarité féminine et renseignent sur le changement transformationnel qui traverse les individus et la société tangéroise.
Fatema Belguerch
Fatema Belguerch est née dans la Médina de Tanger dans une famille constituée de trois frères et de sept sœurs. Elle se place sous la tutelle de son père dès le début de notre entretien:
« Mon père est mon modèle. C’est un ancien de la Médina. Il a le « Restaurant Soussi » dans la Médina. Il était notre seule ressource mais a réussi à nous garantir une vie décente. Dans la famille, on traitait différemment les filles et les garçons mais ce n’était pas le cas pour mon père ! Il ne faisait jamais de différence entre nous et nous, les filles, nous avons toutes étudié. »
Après mon primaire à l’école Hafsa , je suis passée au collège Aicha puis au lycée Zainaib, j’ai eu mon baccalauréat en 1982. J’ai eu ma licence en histoire à l’université Dhar Mehrez à Fès avant de revenir à Tanger. Mais de retour à Tanger, je suis restée plus de dix ans en chômage ».
Entre un concours et un autre, Fatema Belguerch continuait à apprendre et à faire de petits boulots pour se prendre en charge. Apprendre à broder ; donner des cours de soutien ; faire des travaux manuels… « j’essayais d’aider mon père en me suffisant à moi-même au niveau financier.» Et toujours passer les concours même sans les réussir.
« Je n’ai jamais perdu espoir ! Un jour, une de mes amies, Nadia Bedaoui, qui travaillait à la délégation de la Culture m’a demandé si je voulais travailler comme formatrice en cours d’alphabétisation ; je n’avais pas d’expériences ; je le lui avais dit ; elle me demanda de me présenter à la Légation américaine. J suis allée avec mon CV, Yhtimad m’a reçue. C’était la première fois que je visitais la Légation. Je suis tangéroise, je passais tous les jours devant sa porte et je n’avais jamais su que c’était un musée !
«Ythimad m’a accueillie avec son sourire et sa bonté. C’était la première fois que je la rencontrais. Je lui ai dit que n’avais jamais enseigné à des adultes mais que j’aimerai essayer. J’avais un peu peur, il faut dire. Elle m’a présentée aux femmes ; il y avait la professeur Rahma. La salle était pleine de femmes, j’avais le trac. »
«De retour chez moi, je me suis mise à faire des recherche, à préparer mes cours. Mes amies institutrices m’ont aidée et c’est comme ça que j’ai commencé ma première année de mon travail ici. Je devais moi-même sélectionner les niveaux des femmes. Le nombre des femmes bénéficiaires du premier niveau était le plus élevé que dans les autres niveaux ; alors je leur ai d’abord appris à faire des traits, à dessiner des courbes : c’était ma manière de leur apprendre à utiliser un crayon, puis les lettres. La deuxième année, j’ai adopté une nouvelle méthode dans ce sens ou j’apprenais aux femmes toutes les lettres avec un signe de vocalisation et un seul, par exemple toutes les lettres avec la « damma », puis avec la « kasra », etc .J’ai remarqué alors qu’ au bout de deux mois au maximum les femmes pouvaient lire un mot. C’était plus rentable au niveau de l’apprentissage. Une concurrence s’est installée entre les femmes, et j’ai vu comme elles avaient envie d’apprendre ;elles étaient demandeuses ! Ce qui n’était qu’un essai est devenu quelque chose de durable. Après, je devais faire moi-même le programme des cours ; je prenais celui du ministère de l’éducation nationale et je l’adaptais aux besoins des femmes et je me fais aider en cela par mes amies institutrices. Elles m’ont beaucoup aidée. Je fus comblée car j’ai vu les progrès faits par ces femmes ! Je suis là depuis 2005 et, jusque-là, je peux dire que l’ambiance de travail et la relation avec les femmes est si soudée que nous formons une famille aujourd’hui. »
Fatima Gharbaoui
Jusqu’à son mariage, Fatima Gharbaoui a toujours vécu à Had El Gharbia, dans la campagne alentour de Tanger, comme elle le raconte elle-même :
« Je vivais à la campagne, à Had el Gharbia ; j’yai vécu et je m’y suis mariée puis je suis venue à Tanger pour suivre mon mari qui était venu y travailler. A Tanger, j’ai eu mes enfants et j’ai maintenant 23 petits -enfants. »
Fatima Gharbaoui habite la Médina.
« J’habite juste à côté… tout près de la Légation…Un jour que j’étais de sortie avec d’autres femmes du voisinage, on a rencontré Rahma, notre professeur et une autre femme, qui n’est plus ici. Elle nous ont demandées si on voulait étudier. J’ai accepté. Elle nous a toutes inscrites pour des cours d’alphabétisation à la Légation américaine. Ça fait vingt ans maintenant que nous sommes ici ! Hamdoullah. J’ai appris à lire puis à dessiner, à faire de la couture, de la broderie, de la peinture sur tissu. L’essentiel. Nous ne sommes plus comme avant. Nous avons changé. Hamdoullah ! Tout a changé pour nous. On est mieux qu’avant, c’est à dire quand on a été à la campagne ou quand on été ici ne sachant ni lire ni rien faire de nos mains. Bien sûr que je suis fière de ma campagne, c’est ma terre natale que j’aime mais ici ma manière de vivre a changé. J’ai quatre filles d’un premier lit et je les ai toutes mariées. Avec mon mari actuel, je n’ai pas d’enfants mais on s’entend bien. Quand ni la femme ni l’homme savent lire, il y a toujours des problèmes.
« quand j’étais à la campagne, j’avais une autre relation à la vie. Comme tu le sais, enfant, on jouait, on aidait nos familles, moi, je gardais le troupeau, je regardais nos vaches, je les observais, je prenais de l’argile et j’essayais de faire des petites figurines : c’était des petites maisons, des clôtures, des animaux, des arbres. Seule, perdue dans la nature, je reproduisais tout ce que je voyais. Quand j’ai intégré les cours de la Légation, je me suis dit pourquoi ne pas dessiner sur le papier ce que je faisais enfant avec de l’argile. Un jour, on avait un grand cahier sur lequel le verset Al Koursi calligraphié en forme de poire a attiré mon attention. J’ai décidé de le reproduire. Ythimad m’a vue faire et m’a apporté le matériel pour dessiner et peindre. Alors j’ai commencé à peindre. Je dessine uniquement quand je suis chez moi.
« je me dis que la campagne a changé, qu’elle n’est plus ce qu’elle était dans ma jeunesse, alors j’essaie de reproduire la campagne de mon enfance dans mes dessins. Je dessine la vie d’avant et les scènes desquelle je me souviens. Je puise dans ma mémoire les sujets de peinture, sans modèles. Je ne copie pas, je ne sors pas dans la rue pour voir des modèles, je ne puise que dans mes souvenirs. Beaucoup de gens me disent de prendre des modèles mais moi je n’aime pas, j’ai commencé en ne comptant que sur ma mémoire, je ne veux pas copier.
«En six ans, je suis sortie de la solitude à l’exposition.
Ça m’a fait un drôle de sentiment la première fois qu’on a acheté mes tableaux ! J’étais très heureuse. J’ai fait une exposition à l’hôtel Chellah et un américain est venu me voir, il était barbouillé de peinture, il est venu directement de son atelier dès qu’il a eu vent de mon exposition, il m’a dit : « écoute, ne recopie pas ». Qu’est-ce que j’avais à recopier ? il y avait des vestiges historiques à Mesoura, du côté de Letnine Sidi Yamani et un vieux coffre enfoncé dans la terre et une poutre très ancienne tout à côté de ce coffre…Des archéologues ont tenté de les déplacer mais personne n’a réussi à le faire. On l’appelle Outed (pieu) de Mezoura. Il est tout à côté du village. Il a quatre anneaux. J’ai dessiné ces vestiges, alors l’américain m’a dit : où as-tu vu cette poutre et ce coffre ? Une femme qui était devant nous lui a dit que ça se trouve dans son village. Alors il m’a dit dessines ce qui sortira de ton esprit, ne recopie pas ». J’ai suivi son conseil, j’ai alors décidé de dessiner le village de mon enfance et de ma jeunesse.
« J’ai exposé trois fois à Tanger et une fois à Marrakech. Beaucoup de choses ont changé pour moi. Ma joie est d’offrir quelque chose à mon pays, ma peinture »
« Le choix de la couleur dépend de mon inspiration mais aussi de la réalité car la montagne dans ma campagne n’a pas la même couleur que dans la ville. Lors d’une exposition à Tanger, un américain peintre m’a demandé comment je choisissais mes couleurs, je luis ai expliqué que je le fais instinctivement…j’utilise beaucoup de bleu, un bleu spécial, proche de celui de Chaouen, et qui est celui de mon village.»