LA GÉOPOLITIQUE DE L’ÉNERGIE
Les intimidations de l’Algérie et de la Biélorussie en matière de gaz
Biélorussie, un pays de transit du gaz russe, ce sont 33 milliards de m³ par an (Gm3/a) qui depuis 2006 le traversent via le gazoduc Yamal – Europe qui part de Russie, passe par le Belarus, et alimente la Pologne et l’Allemagne. C’est important, mais tout de même nettement moins que les gazoducs Nord Stream 1 et 2 qui transportent ensemble 110 Gm3/a.
Ces données sont importantes pour la compréhension de l’article.
Il y a quelques mois, Alger notifia la coupure de l’approvisionnement en gaz, à l’égard du Maroc, au prétexte de la grave crise diplomatique ayant mené en août 2021, à la rupture unilatérale par l’Algérie de ses relations diplomatiques.
Rappelons que depuis 1996, l’Algérie alimente le Maroc, l’Espagne et le Portugal par le gazoduc Gaz Maghreb Europe, d’une capacité de 10 Gm3/a, et que l’Algérie est le seul fournisseur de l’Espagne en gaz naturel conduit, qui correspondait en 2019 à 43 % de sa consommation en gaz.
L’Algérie cherche à rassurer l’Espagne et le Portugal, car elle entend augmenter ses livraisons de gaz via le gazoduc sous-marin Medgaz en service depuis 2011, qui, lui, relie directement l’Algérie à l’Espagne, mais dont la capacité n’est que de 8 Gm3/a.
Ces 2 échauffourées géopolitiques démontrent que les 2 présidents imaginent être encore dans l’ancien modèle de la géopolitique de l’énergie qu’avait créé les pays arabo-musulmans en 1973 et 1979.
Autant et tellement que dans l’imaginaire collectif, y compris celui d’Alexandre Loukachenko et d’Abdelmadjid Tebboun, il est possible de mettre à genoux un pays en lui retirant son approvisionnement énergétique.
Néanmoins, les Nations Unies ont aussi créé un nouveau droit de la mer qui permet d’exploiter les zones maritimes au large des pays côtiers. Ceci a eu pour répercussions un allongement de la disponibilité du pétrole jusqu’à au moins 2075. Cela est aussi valable pour le gaz naturel, qui est abondant, bon marché, disponible et propre.
Le paralogisme de l’Algérie et de la Biélorussie
Minsk et Alger se sont trompées et se trompent profondément. Ces menaces de coupure auraient pu avoir un sens si le gaz naturel n’était pas abondant. Aujourd’hui, le marché est devenu vendeur.
Ils vont parvenir, peut-être, à créer quelques ennuis pendant quelque temps, mais sur le long terme ils seront perdants. D’abord, tous les 2 perdent et perdraient beaucoup d’argent, dont ils ont grand besoin, sur le gaz non vendu (Algérie) ou en droits de transit (Belarus). Mais surtout, ils détérioraient leur crédibilité.
Poutine ne va pas laisser faire cette action d’opérette, d’autant plus que l’hiver arrive et qu’il tient à ne pas envenimer la situation d’approvisionnement déjà tendue avec l’UE.
Mais pour l’Algérie, c’est plus préoccupant, car elle risque de perdre sa crédibilité de fournisseur stable qu’elle avait depuis bientôt 40 ans. En particulier, l’Algérie alimente l’Italie par le canal de Sicile de 335 Gm3/a.
Pourtant, le vieux paradigme (la fin du pétrole et du gaz) a encore de beaux jours, car il est très difficile de se débarrasser d’idées qui ont formaté toute une génération. Nous l’avons encore vu récemment avec l’envolée du prix du gaz dans l’UE, avec des scénarios et des analyses rocambolesques.
Des bêtises profitables à ceux qui s’adaptent à la géopolitique de l’énergie
Les erreurs des pays arabes, d’il y a grosso modo 50 ans, ont aidé, grâce à l’innovation technologique, à créer un marché abondant et fluide du gaz naturel. Assurément, des changements brusques de prix peuvent arriver, mais ce sont des phénomènes conjoncturels et non pas géopolitiques. La preuve en est que le prix du charbon (aucune dépendance géopolitique) vient d’être multiplié par 3 sur le marché asiatique.
Pour rappel, la vice-présidente de la Commission de l’énergie (Loyola de Palacio) avait assimilé que le vrai problème de l’énergie est d’assurer un approvisionnement constant, car sans énergie tout s’écroule.
Je réitère mon message d’il y a 5 ans, il faut insister sur la diversification des énergies, la diversification des pays d’importation et la diversification des routes d’importation.
Beaucoup a été initié, mais tout n’est pas fini.
Une liste de projets « d’intérêt commun » est trop vitale du point de vue stratégique.
À l’avenir, on a bien compris que leur but ultime réel est d’ »assoiffer », et de faire « s’effondrer », faute d’énergie abondante et bon marché, le Modèle économique dit « Industriel » qu’ils haïssent, et qui est pourtant à la base de notre société et de l’État providence.
Ceci démontre qu’il faut poursuivre les diversifications prévues.
Spécifiquement, l’Allemagne et la Russie ont bien fait d’insister sur l’achèvement du gazoduc Nord Stream 2.
L’Espagne a bien roulée de construire 8 terminaux gaziers avec une capacité totale de 76 Gm3/a qui permettent de l’alimenter et ainsi de ne pas dépendre uniquement de l’Algérie. D’ailleurs, Repsol a débuté en Septembre 2021, la construction d’un nouveau terminal à Bilbao de 3 Gm3/a.
Le gaz naturel sera et devra être utilisé abondamment tout au long de ce siècle. Pour preuve, la grande entreprise chinoise Sinopec a signé, en novembre 2021, un contrat d’approvisionnement pour 20 ans de 28 Gm3/a par an de gaz naturel liquéfié américain.
Il est urgent d’éclaircir, d’éclairer et de démontrer que le gaz naturel est l’énergie abondante et bon marché dont le monde entier a besoin. Il faudrait aussi que Minsk et Alger le consentent.
Oussama OUASSINI, l’homme qui murmure aux oreilles des Hommes d’Etat
N.B:
Le gaz est bien, mais le charbon est moins cher. C’est pour ça qu’il représente une plus grosse part de l’énergie primaire mondiale. On imagine mal de plus que doubler la production du gaz pour remplacer le charbon. Et les projets GNL coûtent cher et peuvent être mal placés (Exple: Mozambique).
L’Europe a les moyens de payer le gaz, ce qui lui permet de réduire ses rejets de CO2.