Extrait de l’introduction : “Et cette mémoire que j’ai de la cité, fondée spécifiquement sur l’image que je garde d’elle, autant que des divers écrits, littéraires et historiques, que j’ai pu en lire, est une image entièrement construite : mon Petit Socco se révèle dans l’image du sourire satisfait de ce commerçant, ou bookmaker, assis à la terrasse du café Tingis ; dans le passage claironnant et éminemment politique du kaiser Guillaume II au long de la si modeste rue des Siaghine ; dans les plis du haïk de la Marocaine qui, indifférente, traverse cet espace d’européanité affichée et brillante jusqu’à l’arrogance. C’est un Petit Socco toujours international, toujours tourné vers l’Ouest, toujours dans les standards des idéologies dominantes de son temps. Ici me vient l’idée que, finalement, et fondamentalement, la photographie étant apparue avec l’expansion du capitalisme et la naissance du libéralisme, elle en constitue aussi un outil et une chambre d’écho. Elle forme donc le support de la mémoire d’une idéologie. Ainsi, en réfléchissant dans cet opus à l’acte photographique, à l’image, au Petit Socco et à la notion de territoire et de mémoire, de témoignage, je réalise que la photographie donne de ce quartier, que je contribue moi-même à topographier, une identité qui appartient à là d’où la photographie vient et de ce qu’elle y représente : un média ou un art qui, jusqu’à très récemment, demeure avant tout un instrument de mémoire et de pouvoir au service de l’Occident et de l’occidentalisation du monde – que d’autres appelleront mondialisation, où en réalité il existe plusieurs mouvements aussi mondialisant qu’antinomiques : la mondialisation de la Chine n’est pas celle des États-Unis, l’impérialisme des Wahabites n’est pas l’essor des Évangéliques…”

Philippe Guiguet Bologne
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